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jeudi 31 août 2017

San Gennaro




Les Napolitains ignorent Dieu. Entre eux-mêmes et Dieu, ils ont placé des avocats : ces avocats seraient les saints. Parmi tous les saints, le meilleur avocat des Napolitains est san Gennaro. C'est lui qui se charge de défendre en haut lieu, au Paradis, les actions des gens. Ceux-ci ne sauraient comment parler à Dieu, ils ne sauraient comment s'y prendre pour s'adresser à une entité abstraite que l'on ne peut ni voir, ni toucher. Mais au Duomo, ils ont la statue de san Gennaro, parfaitement tangible. Dieu est un rêve, une idée. San Gennaro est un homme de chair et d'os. En effet, san Gennaro est le dernier saint au monde qui – et cela deux fois par an – prouve qu'il est encore vivant, par la liquéfaction de son sang qui se met à bouillir comme une chaudière, dans la châsse que tient entre ses mains l'archevêque – ou un cardinal – et qui est montré à la foule en prière. Lorsque le sang, sur la liquéfaction duquel on a raconté un tas de choses, se met à bouillir, chaque fidèle a résolu un problème. Par exemple, celui qui se tient de travers peut espérer devenir droit ; la femme stérile aura un enfant ; l'ennemi de telle personne sera déconfit et mourra peut-être ; le tremblement de terre ne provoquera plus de deuils ; tel roi avait le droit de régner ; la lave du Vésuve s'arrêtera aux portes de la ville ; tel condottiere méritait de vaincre.




 San Gennaro a dit oui. Par la liquéfaction de son sang, san Gennaro a donné son approbation. Mais surtout, étant donné que pour les Napolitains, le problème numéro un a toujours été la faim, san Gennaro se débrouillera pour dicter en rêve les chiffres du Loto à celui qu'il a choisi d'avance afin qu'il gagne beaucoup d'argent et éloigne de soi la misère.

Peut-être la fonction la plus importante de san Gennaro consiste-t-elle à suggérer un ambe, un terne ou un quaterne à ses fidèles. Il ne conseille jamais à son peuple de se mettre au travail, mais d'aller jouer les chiffres du Loto, grâce auquel tous les problèmes les plus obsédants du demandeur seront résolus de la manière la meilleure, et sans fatigue. Le jeu du Loto, grâce auquel tous les problèmes les plus obsédants du demandeur seront résolus de la manière la meilleure, et sans fatigue. Le jeu du Loto, qui constitue l'une des activités hebdomadaires du Napolitain, du haut en bas de l'échelle sociale, est un prolongement de san Gennaro. Les deux sont liés.

 


Aujourd'hui, san Gennaro n'est plus déterminant dans la vie des Napolitains. Le rouleau compresseur de la société de consommation est passé sur tous. On peut gagner de l'argent grâce au racket, aux cigarettes de contrebande ou à la drogue. Mais san Gennaro n'est pas mort, pas plus que Pulcinella. Là où l'on s'y attend le moins, il repousse avec vigueur et lance ses tentacules. Son message, fondé sur l'idée que tout est chance, possède une force terrible. San Gennaro a été un des maux de Naples, et tant que son symbole n'aura pas complètement disparu, les Napolitains ne deviendront jamais un peuple ni concret ni efficace. Ils soupçonneront toujours leur meilleur ami lui-même d'être un jeteur de sorts, qu'il faut donc tenir à distance et à qui il ne faut rien confier. 

San Gennaro n'a servi qu'à diviser les habitants entre eux, à les faire vivre dans l'éternel soupçon que quelque malheur peut survenir à tout moment...

Domenico Rea Naples, visite privée Éditions du Chêne, 1991 (Traduction : Marguerite Pozzoli)








Images : en haut, Pasquale Popolizio (Site Flickr)

au centre (deux photographies) : Site Flickr

en bas, Paola Magni (Site Flickr)




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