Le livre d’Antonio Prete, Trenta gradi all’ombra (Trente degrés à l’ombre) est composé de trente «mouvements narratifs» de longueur variable ; il s’agit de variations philosophiques, scientifiques ou poétiques sur un même thème : l’ombre. On y évoque, entre autre, l’origine de la peinture (Il disegno), le mythe platonicien de la Caverne, la peur atavique de perdre son ombre (Favola d’ombra), le rôle de l’ombre dans les éclipses lunaires ou solaires (Eclisse a Porto Badisco), la légende d’Amour et Psyché, celle d’Orphée et Eurydice. On y voit aussi, à la manière de certains dialogues léopardiens, l’ombre deviser avec la lumière... Le passage que l’on va lire ici est extrait de l’épilogue de l’ouvrage :
In un paese di luce è dall’ombra che si scorge il mondo. Dall’ombra si vedono guizzare le faville di luce nella chioma degli ulivi. Dall’ombra si osserva il cielo che lungo il giorno svaria di profondità e di umore e dialoga con il mare in una lingua di lampi e di riflessi.
(...)
Per anni il senso della quiete, della saggezza nella quiete, mi veniva da un vecchio contadino che nell’ombra fumava la sua pipa appoggiato al tronco di un alto pino solitario : intorno ai bagliori del meriggio. Sapevo che dalla crudeltà del mondo anche in lui erano venute molte ferite. Ma quella sospensione, per un poco era in accordo con il canto degli uccelli che esplodeva nella chioma dell’albero.
Osservare il mare, le sue scaglie di luce e le gradazioni del suo verde e del suo blu, dall’ombra di un cespuglio, dove la macchia di lentisco e di mirto è più folta ma già cede alla sabbia delle dune : di qua il profumo di una terra aspra e pietrosa, di là il suono dello sconfinato, il rumore della lontananza. Lu rusciu ti lu mare, il suono del mare, è voce che poi ti accompagna. Anche nell’atonia, o nel deserto del sentire.
Su un porticciolo la luce del giorno si ritrae, indugiando sulle alberature, e lasciando che il popolo delle ombre conquisti la riva, il molo, gli scafi, la superficie dell’acqua : via via che l’oscuro sale a impastare l’aria e aspegnere i fuochi, il passaggio della luce nella zona d’ombra del già stato inaugura la forma del ricordo, della presenza nel ricordo. Una presenza dolce nel cuore della sera.
In un paese di luce è dall’ombra che si scorge il mondo.
Antonio Prete Trenta gradi all'ombra, ed. nottetempo, 2004
Dans un pays de lumière, c’est à partir de l’ombre que l’on découvre le monde. Depuis l’ombre, on voit les étincelles de lumière jouer dans le feuillage des oliviers. Depuis l’ombre, on voit le ciel changer d’humeur et de profondeur au fil de la journée, et dialoguer avec la mer dans une langue faite d’éclats et de reflets.
(...)
Pendant des années, l’exemple de la quiétude, de la sagesse dans la quiétude, me venait d’un vieux paysan qui à l’ombre fumait sa pipe, appuyé au tronc d’un grand pin solitaire : tout autour, les lueurs du soleil de midi. Je savais qu'en lui aussi, la cruauté du monde avait été la cause de nombreuses blessures. Mais cette suspension, l’espace d’un instant, était en accord avec le chant éclatant des oiseaux dans le feuillage de l’arbre.
Observer la mer, ses éclats de lumière et les nuances de vert et d’azur, depuis l’ombre d’un buisson, où le maquis de lentisque et de myrte est plus dru mais cède déjà devant le sable des dunes : d’un côté, le parfum d’une terre âpre et pierreuse ; de l’autre, le son de l’immensité, le bruit du lointain. Le murmure de la mer, le bruit de la mer, c’est une voix qui ne cesse de t’accompagner. Même dans l’atonie, ou le désert des sens.
Sur un petit port, la lumière du jour se retire, s’attardant sur les mâts, et laissant le peuple des ombres conquérir le rivage, la jetée, les barques, la surface de l’eau : au fur et à mesure que l’ombre gagne, pétrissant l’air et éteignant les feux, le passage de la lumière dans la zone d’ombre de ce qui a déjà été inaugure la forme du souvenir, de la présence dans le souvenir. Une douce présence au cœur du soir.
Dans un pays de lumière, c’est à partir de l’ombre que l’on découvre le monde.
(Traduction personnelle)
Leçon de ténèbres : un autre extrait en français de Trenta gradi all'ombra.
Images : (1) et (2) Site Flickr
Naturellement, impossible de s'émerveiller du monde sans l'ombre qui fait éclater la lumière. Mais impossible aussi, pour l'homme, de vivre sans ses propres ombres, ainsi qu'il arriva à Peter Schlemihl, le héros d'Adalbert von Chamisso.
RépondreSupprimer