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mercredi 27 septembre 2017

La mort vit à Staglieno




Staglieno ! Staglieno ! (1) Nécropole sans fin, paradis du nécrophile mental, jardin académique de l'animiste athée ! Staglieno, port enseveli, souterrain au flanc de la cité portuaire !

(...)

Ces portes de marbre, closes ou entrebâillées, près desquelles le défunt attend, hésitant, à la fois intrigué et atterré – ou bien est conduit à bout de bras par des anges aussi robustes que les infirmiers d'un vieil hospice d'aliénés – appartiennent à ce fantastique macabre qui est ici l'un des motifs les plus mystérieux... Crevasses sur le gouffre, ouvertures sur le précipice, vous m'attirez mortellement... Si vous n'étiez pas de marbre, je vous écarterais doucement, tenté de regarder... Dans la galerie supérieure le monument le plus morbide est certainement celui de Raffaele Pienovi, 1879, par l'inégalable sculpteur Villa. Une jeune fille, plus curieuse que désespérée (probablement la fille de Pienovi), soulève doucement le linceul, froissé avec élégance, couvrant jusqu'à la tête le cher défunt, qui repose sur deux élégants oreillers de malade.

Mais que voit Mlle Pienovi ? Le mari d'Emma Bovary éprouva une curiosité semblable dans la chambre mortuaire devant le blanc linceul de sa femme : «Lentement, du bout des doigts, en palpitant, il releva son voile. Mais il poussa un cri d'horreur...» Dans un roman on raconte ce qui se passe après : un cri, puis la suite de l'histoire. Mais la fixité de ce groupe de marbre qui suspend le temps, immense, clôt irrésistiblement le mystère. Le groupe étant situé un peu en hauteur, le visiteur ne peut voir ce qui se trouve sous le linceul... Serait-il possible qu'il n'y ait rien ? J'étais seul... Je suis monté et j'ai regardé... Je n'ai pas crié. Je ne dirai pas ce que j'ai vu.

(1) Staglieno est le cimetière monumental de Gênes.

Guido Ceronetti   Albergo Italia
  (traduction : Jean-Paul Guibbert) Editions Phébus.








Images : en haut et en bas (1), Jacqueline Poggi  (Site Flickr

en bas (2) Alejandro Held  (Site Flickr



3 commentaires:

  1. Quelle beauté effrayante nous plongeant dans l'ombre de la mort ! Cette écriture prend le risque de l'affronter et de l'adoucir par un regard qui caresse les tombeaux. Fascinant... Les photos ajoutent un charme vénéneux à l'approche. Je pense non à Emma Bovary mais à un poème d'Apollinaire "Les colchiques" :
    "...tes yeux sont comme cette fleur-la
    Violatres comme leur cerne et comme cet automne
    Et ma vie pour tes yeux lentement s'empoisonne..."

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    1. Pour l'anecdote, c'est un des premiers billets publiés sur ce blog il y a (déjà !) sept ans ; j'ai juste rajouté une photo et l'extrait du Requiem de Mozart...

      Ce cimetière monumental de Gênes est certainement l'une des choses les plus étonnantes à voir en Italie ; quand on l'a visité, on ne l'oublie plus !

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    2. C'est bien de l'avoir remis en ligne. Merci.

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