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jeudi 10 avril 2014

Inno alla morte (Hymne à la mort)




Amore, mio giovine emblema,
Tornato a dorare la terra,
Diffuso entro il giorno rupestre,
E' l'ultima volta che miro
(Appiè del botro, d'irruenti
Acque sontuoso, d'antri
Funesto) la scia di luce
Che pari alla tortora lamentosa
Sull'erba svagata si turba.

Amore, salute lucente,
Mi pesano gli anni venturi.

Abbandonata la mazza fedele,
Scivolerò nell'acqua buia
Senza rimpianto.

Morte, arido fiume...

Immemore sorella, morte,
L'uguale mi farai del sogno
Baciandomi.

Avrò il tuo passo,
Andrò senza lasciare impronta.

Mi darai il cuore immobile
D'un iddio, sarò innocente,
Non avrò più pensieri né bontà.

Colla mente murata,
Cogli occhi caduti in oblio,
Farò da guida alla felicità.

Giuseppe Ungaretti    Sentimento del tempo, 1919-1935.

 




Hymne à la mort

Amour, mon juvénile emblème,
Revenu dorer la terre,
Epars dans le jour rocheux,
C'est la dernière fois que je regarde
(Au pied du ravin, d'eaux
Brusques somptueux, endeuillé
D'antres) la traînée de lumière
Qui pareille à la plaintive tourterelle
Sur l'herbe distraite se trouble.

Amour, santé lumineuse,
Les années à venir me pèsent.

Lâchée ma canne fidèle,
Je glisserai dans l'eau sombre
Sans regret.

Mort, aride rivière...

Soeur sans mémoire, mort,
D'un seul baiser
Tu me feras l'égal du songe.

J'aurai ton même pas,
J'irai sans laisser de traces.

Tu me feras le cœur immobile

D'un dieu, je serai innocent,
Je n'aurai plus ni pensers, ni bonté.

L'esprit muré,
Les yeux tombés en oubli,
Je servirai de guide au bonheur.


Traduction : Philippe Jaccottet







Images : en haut, Site Flickr 





« Les mots sont impuissants ; ils ne réussiront jamais à exprimer le secret qui est en nous ; ils ne peuvent que s'en approcher... »


5 commentaires:

  1. Étrange ce poème désabusé où tout s'arrête, où tout s'efface et s'oublie avec la mort pour ce grand poète qui n'a cessé d'offrir "tout" le temps avec ses réminiscences, poursuivant le passé pour qu'il ne meurt pas comme Orphée cherchant Eurydice dans les ravins sombres de la mort. Les photos ajoutent à cette impression une pensée d’irréversibilité.

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    Réponses
    1. C'est un poème de jeunesse (ou plutôt de la maturité, il avait autour de quarante ans lorsqu'il l'a écrit) qu'Ungaretti lit ici près de quarante ans plus tard, alors qu'il est lui-même proche de la mort. Il s'adresse d'abord à l'amour ("santé lumineuse"), avant d'évoquer l'appréhension que lui inspirent les années à venir ; la mort est accueillie comme une promesse de sérénité, d'apaisement, l'"aride rivière" qui est aussi l'eau du Léthé qui procure l'oubli. Il faut s'arrêter à la façon dont Ungaretti lit le dernier vers : "Je servirai de guide au bonheur", en fermant les yeux et en esquissant un sourire presque extatique ; au-delà des mots, c'est peut-être dans ce sourire que réside le secret de ce poème...

      Je suis d'accord avec vous sur le choix des photos ; j'ai supprimé la dernière, vraiment redondante dans cet aspect d'irréversibilité que vous signalez et qui fausse la perception que l'on peut avoir du poème.

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    2. Merci, vous êtes un bon guide. La photo sous lien tout en bas de la page est étonnante et bien liée à ce dernier vers que vous citez : "Je servirai de guide au bonheur"...

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  2. S'approcher du secret est déjà grand, car tout dévoiler ne serait plus de la poésie. Grande émotion éprouvée à la lecture de ce poème.
    Merci

    Roger

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