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samedi 7 janvier 2012

I giocattoli di Parpignol (Les jouets de Parpignol)




L'éditeur palermitain Sellerio vient de rééditer Il nome delle parole (Le nom des mots), le très beau récit autobiographique de l'écrivain et poète Guglielmo Petroni (1911-1993), publié pour la première fois chez Rizzoli en 1984. Petroni y raconte son enfance pauvre et triste à Lucques, où il quitte très tôt l'école pour devenir employé dans le modeste commerce de chaussures de son père. La seconde partie du livre est consacrée à ses années de formation, largement autodidactes, depuis sa découverte de la peinture et de la poésie jusqu'à la fréquentation du célèbre café des Giubbe Rosse à Florence (où il fréquente notamment Montale, Gadda, Vittorini, dont il nous livre ici de très beaux portraits). Dans la troisième et dernière partie du livre, Petroni  évoque sa rencontre  avec Malaparte, qui lui propose de le rejoindre à Rome pour travailler avec lui dans la rédaction de sa revue Prospettive. Nous sommes alors à la fin des années trente, en peine période fasciste, et Petroni prendra très vite une part très active à la Résistance, ce qui lui vaudra d'être arrêté, torturé et condamné à mort en 1944 ; il sera sauvé in extremis par l'entrée des troupes alliées à Rome. Petroni ne s'attarde pas dans Il nome delle parole sur cet épisode, puisqu'il l'avait déjà longuement raconté dans un autre ouvrage autobiographique paru en 1949, Il mondo è una prigione (Le monde est une prison) ; il s'agit d'ailleurs de son livre le plus célèbre, et d'un des plus beaux témoignages sur les années de la guerre et de la Résistance, hélas jamais traduit en français, sauf erreur de ma part. 

L'extrait que je cite ici se situe au début de l'ouvrage, où l'auteur raconte son enfance ; dans cette vie monotone et frustrante, auprès d'un père autoritaire et borné qui lui fait quitter l'école pour le faire travailler avec lui dans sa boutique de chaussures, et d'une mère soumise, "vivant en symbiose avec sa vieille machine à coudre Singer", l'évocation de son grand-père, un être fantasque et généreux qui multiplia les activités, de serveur de restaurant à chanteur d'opéra, est un moment particulièrement heureux et lumineux:

Nel suo giorno di libertà il nonno se ne andava alla l’osteria ; tornava tardi, cantando, barcollando, brontolando con segreta allegria : «Tutti calmi ! Ci penso io !». Quel «ci penso io» era serenità per me. «State tranquilli», diceva, quasi urlando, «ci penso io». 

Spesso, nel suo giorno di riposo, uscito presto di mattina, a sera tardi non si vedeva rincasare ; io aspettavo, non lui, ma che mia madre, dopo qualche ora di riflessione, m’infilasse la mantella : «Vai, vai a cercarlo ; a te dà retta». Sapevo dove andare, due o tre osterie ; ma sopratutto una dove lo trovavo assieme ad altri vecchi simili a lui, vivacissimo. Il gruppo, rumoroso e fumante dell’acre tabacco dei toscani, sembrava aver dimenticato il tempo. 
«Eccolo il mi’ nipote» esclamava appena mi vedeva entrare. Tutti si muovevano per farmi posto. «Omelette aux confitures per il mi’ nipote !». 
«Nonno ho già mangiato». 
«Ci penso io, bimbo, omelette aux confitures». 
Me la portavano con la fiamma sopra, come voleva lui, che sapeva come si serve una cosa come quella nei ristoranti di lusso. Tentava di tagliarmela, ma si bruciava le dita : «Fai tu, sai fare meglio di me». Mi sentivo felice. 
«Ecco i giocattoli di Parpignol !» cantava tutt’a un tratto, tra la gioia di tutti gli avventori dell’osteria. La sua voce non era vecchia, era bella, limpida. Gli amici attorno al tavolo gli facevano coro «Ecco Parpignol, ecco Parpignol col carretto tutto fior !». 
L’ombra di Puccini aleggiava nell’osteria. Io stesso, piccolissimo, avevo visto il nonno sul palcoscenico al teatro del Giglio, in costume, spingere il carretto tutto fior e cantare «Ecco i giocattoli di Parpignol !». 

Non era nato povero, apparteneva a una famiglia agiata della città. Credo si trattasse di una famiglia di sciagurati, goderecci e spendaccioni. Lui aveva studiato canto, aveva seguito una compagnia fino a Nizza, poi non so ; dai suoi racconti qualche scintilla d’una favolosa Belle époque nizzarda era giunta fino a me. All’osteria con lui conoscevo la felicità ; l’unica vera felicità che, fino ad allora, fosse riuscita a penetrare in fondo al pozzo delle mie giornate, abitava all’osteria, dove mi pareva scorresse una bontà infinita, la bontà di quel vecchio, dei suoi amici che gli somigliavano ; tra di essi era sempre presente uno scultore che aveva scolpito qualche angelo sulle lapidi del camposanto ; un facchino della stazione ; gli altri non sa cosa facessero, ma per me erano tutti buoni, vecchi, poveri come il mio nonno. Erano personaggi che, nella loro allegra rassegnazione, communicavano un calore che stranamente mi pareva riscaldasse sopratutto il mio cervello chiuso, forse ottuso, che invece si apriva come si spalanca su un paesaggio assolato una finestra da una stanza buia. In quei momenti mi pareva di comprendere tutto ; una specie di attenzione mi rendeva capace di capire la gioia che ricevevo dai loro astrusi argomenti, che ascoltavo sentendovi serpeggiare una dolce malinconia. Quelle sere, per me, erano meravigliose feste della vita.

Guglielmo Petroni  Il nome delle parole  Sellerio editore, Palermo, 2011





Pendant son jour de congé, mon grand-père allait au bistrot ; il rentrait tard, chantant, titubant, grommelant avec une secrète allégresse : «Restez calmes ! Je m'occupe de tout!» Ce «je m'occupe de tout» me rendait serein. «Ne vous inquiétez pas», disait-il, presque en hurlant, «je m'occupe de tout !» 

Souvent, pendant son jour de repos, il sortait très tôt le matin et, le soir venu, il n’était toujours pas rentré ; moi, j’attendais, pas mon grand-père, mais plutôt le moment où ma mère, après un temps de réflexion, me passerait mon manteau en me disant : «Va le chercher ; toi, il t’écoute». Je savais où aller, dans deux ou trois bistrots, mais c’était souvent dans le même que je finissais par le trouver, attablé avec d’autres vieux pareils à lui, et très enjoué. Le groupe, bruyant et enveloppé de l’âcre fumée des cigares toscans, semblait avoir perdu toute notion du temps. «Le voilà, mon petit-fils !» s’exclamait-il dès qu’il me voyait entrer. Tout le monde se poussait pour me faire de la place. «Une omelette sucrée pour mon petit-fils !»
«Grand-père, j’ai déjà mangé». 
«Je m'occupe de tout, petit, une omelette sucrée !». 
On me l’apportait flambée, il y tenait beaucoup, car il savait comment on sert ce genre de plat dans les restaurants de luxe. Il essayait de la couper, mais il se brûlait les doigts : «Je te laisse faire, tu es plus habile que moi !». Je me sentais heureux. 
Tout à coup, il se mettait à chanter, à la grande joie de tous les clients du bistrot : «Voici les jouets de Parpignol !» Sa voix n’était pas usée, elle était belle et limpide. Autour de la table, tous ses amis reprenaient en chœur : «Voilà Parpignol, avec sa charrette toute fleurie !» 
L'ombre de Puccini flottait dans le bistrot. Quand j’étais encore un tout petit enfant, j’avais vu mon grand-père sur la scène du théâtre du Giglio ; en costume, il poussait la charrette fleurie et chantait : «Voici les jouets de Parpignol !».

Il n’était pas né pauvre, il appartenait à une famille aisée de la ville. Je crois qu’il s’agissait d’une famille de bons vivants, insouciants et flambeurs. Il avait étudié le chant, il avait suivi une compagnie jusqu’à Nice, et puis je ne sais pas trop ; jaillie de ses récits, je gardais dans ma mémoire une étincelle de cette fabuleuse Belle époque niçoise. Avec lui, au bistrot, j’étais parfaitement heureux ; le seul vrai bonheur qui, jusque là, avait réussi à éclairer le fond du puits de mes journées se trouvait dans ce bistrot, où il me semblait voir se répandre une infinie bonté, la bonté de ce vieil homme, des amis qui lui ressemblaient ; parmi eux se trouvait toujours un artiste qui avait sculpté des anges sur les tombes du cimetière ; un porteur de la gare ; j’ignorais ce que faisaient les autres, mais pour moi ils étaient tous gentils, vieux et pauvres comme mon grand-père. C’étaient des personnages qui, dans leur joyeuse résignation, transmettaient une sorte de chaleur, et j’avais l’étrange sensation que cette chaleur venait surtout réchauffer mon esprit renfermé, peut-être même borné, lequel finissait par s’ouvrir, comme s’ouvre sur un paysage ensoleillé la fenêtre d’une pièce sombre. Dans ces moments-là, j’avais l’impression de tout comprendre ; une attention particulière me rendait capable de saisir la joie que me procuraient leurs mystérieuses conversations, dont il me semblait en les écoutant qu’elles étaient empreintes d’une douce mélancolie. Pour moi, ces soirées  étaient de merveilleuses fêtes de la vie.

(Traduction personnelle)






Images : en haut, Dan Noon (Site Flickr)

au centre, Fabio (Site Flickr)

3 commentaires:

  1. Il m'a mis les larmes aux yeux, celui-là!

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  2. ti consiglio: l'estate alla fine del secolo di fabio geda, bello...

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  3. Floritalia : grazie della segnalazione, conoscevo il libro precedente di Geda, "Nel mare ci sono i coccodrilli", e leggero' volentieri questo nuovo romanzo.

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