Translate

jeudi 4 septembre 2014

Le premier mot (La prima parola)




Une envie persistante : retrouver dans la mémoire le premier mot italien qui m'ait touché, celui par lequel j'ai pris conscience de l'autre langue (en un mot, en un seul, devine-t-on déjà tout un idiome, tel un fil qui patiemment tiré livrerait l'ensemble du motif, fût-ce en le détruisant ?) Ils sont plusieurs à se presser, entendus ou lus dans des gares que le train traversait. Mais l'alliance la plus forte des lettres, du rythme et du son s'est produite à Bologne, au lever du jour. Un cheminot tend le bras pour indiquer un panneau noir où s'inscrit en blanc le mot uscita, qu'en même temps il prononce de sa voix sonore. Le reste du voyage pour atteindre la côte ne sera plus qu'une succession de formes entrevues par la vitre, auxquelles je ne saurai attribuer de nom dans l'autre langue : réceptacles en attente d'être comblés, créatures inabouties qui feront signe, réclamant un salut à mon inaptitude. Et moi je ne pourrai leur appliquer que mes propres mots, d'autant plus étrangers, incongrus, qu'arbres et maisons rappelleront ceux et celles que j'ai pu voir en France, différant d'eux par une simple attente – premières leçons de désir. L'Italie, à travers ses cyprès de moins en moins rares, ses maisons et leurs balcons, deviendra autre brusquement, mais sous l'effet d'une patience longue, ignorée.

Bernard Simeone   Acqua fondata   Editions Verdier, 1997






 






Images
: en haut, Site Flickr

en bas, Site Flickr

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire