Ce texte, écrit par Pasolini lors du tournage de Mamma Roma (1962), a été publié dans Mamma Roma, di Pier Paolo Pasolini, éditions Rizzoli, 1962. Je cite ici la traduction qu'en a faite Stefano Bevacqua dans le numéro hors série des Cahiers du cinéma consacré à Pasolini (Pasolini cinéaste, avril 1981).
« Mon goût cinématographique n'est pas d'origine cinématographique, mais pictural. Les images, les champs visuels que j'ai dans la tête, ce sont les fresques de Masaccio, de Giotto – les peintres que j'aime le plus, avec certains maniéristes (comme, par exemple, Pontormo). Je n'arrive pas à concevoir des images, des paysages, des compositions de figures, en dehors de ma passion fondamentale pour cette peinture du Trecento, qui place l'homme au centre de toute perspective. Quand mes images, donc, sont en mouvement, elles sont en mouvement un peu comme si l'objectif se déplaçait devant un tableau : je conçois toujours le fond comme le fond d'un tableau, comme un décor, c'est pour cela que je l'attaque toujours de front. Et les figures se déplacent sur cette toile de fond de façon symétrique, à chaque fois que c'est possible : gros plan contre gros plan, panoramique-aller contre panoramique-retour, rythmes réguliers (ternaires, si possible) des plans, etc. Il n'y a presque jamais de montage gros plans / plans généraux.
Je cherche la plasticité, avant tout la plasticité de l'image, en suivant la voie jamais oubliée de Masaccio : son fier clair-obscur, son blanc et noir – ou bien, si vous voulez, en suivant la voie des Primitifs, en un curieux mélange de finesse et de grossièreté. Je ne peux pas être impressionniste. Ce que j'aime, c'est le fond, pas le paysage. On ne peut pas concevoir un retable avec les figures en mouvement. Je déteste le fait que les figures se déplacent. Et donc, aucun de mes cadrages ne peut commencer par le "champ", c'est à dire le paysage vide. Le personnage, même tout petit, sera toujours là. Tout petit pour un instant seulement, car je crie aussitôt au fidèle Delli Colli de mettre le "soixante-quinze", et ainsi j'arrive sur la figure : un visage en détail. Et derrière, le fond : le fond, pas le paysage. »
Extrait de La Ricotta, de P.P. Pasolini (1963)
Sur le même sujet, une étude intéressante de Céline Parant : Les représentations picturales du cinéma pasolinien.
Images : en haut, Masaccio Il Tributo (détail) (chapelle Brancacci, Florence)
en bas, P.P. Pasolini, L'Evangile selon Saint Matthieu
Il n'y a pas si longtemps, on apprenait la lumière et le cadre en étudiant l'ouvre des grands peintres, aux élèves d'écoles de cinéma. Aujourd'hui, il y a notre copain Hal qui remplace tout ou presque. Savez-vous qu'il existe une machine (infernale à n'en pas douter) qui sert à colorier, je devrai écrire à re-colorier, les images et qui s'appelle le Da Vinci. Soupirs...
RépondreSupprimerCe que vous dites est particulièrement vrai pour les directeurs de la photographie : le grand cinéma italien des années soixante et soixante-dix leur doit beaucoup (je pense par exemple à Tonino Delli Colli, Pasquale De Santis, Carlo Di Palma, Giuseppe Rotunno, Luciano Tovoli, Vittorio Storaro) et l'on voit bien la différence avec ce qui nous est proposé aujourd'hui !
SupprimerOui, mais manifestement, personne ne semble s'en soucier. Certainement parce que le cinéma est mort depuis belle lurette, récupéré qu'il a été comme tous les arts secondaires. Il faut se demander aussi si nous aimons le cinéma "d'avant", parce que cette époque était aussi la nôtre...
RépondreSupprimerL'aspect nostalgique peut en effet jouer, mais ce n'est pas l'essentiel : Pasolini, Fellini, les Taviani, Antonioni, Visconti, Rosi, Olmi, c'est quand même du très grand art et on aurait beaucoup de mal à trouver l’équivalent aujourd'hui dans la cinématographie italienne...
SupprimerSaisissant cette scène en couleurs de "La Ricotta" ! L'histoire d'un cinéaste tournant une scène de la Passion du Christ. Film en noir et blanc sauf cette scène et une autre, sortes de tableaux vivants exposant la déposition du Christ en référence à la " Déposition " de Le Rosso (1521) et la " Déposition " de Pontormo (1518 ). Presque un pastiche de ces tableaux maniéristes où Pasolini, l'enragé, l'anticonformiste, ajoutera une ambiguïté, et son désir permanent de déranger : ces éclats de rire à la fin de la scène mais pas seulement. Son regard moqueur est là, retrouvant le langage de la réalité. Regard acide sur le monde du cinéma, l’Église et la société italienne des années 60-70 (en particulier la bourgeoisie).
RépondreSupprimerMerci pour les fresques qu'il a su regarder en amateur éclairé, en en saisissant le mystère et en les utilisant avec une stupéfiante maîtrise et une grande improvisation. Son regard n'est pas seulement celui d'un peintre et d'un amateur d'art. Il se confronte à la mémoire de ces œuvres pour inventer son film. Fascinant. Quelle liberté ! (ce film fut jugé scandaleux et mis sous séquestre...)