Il y a un mystère dans la Déposition que Rosso Fiorentino a peinte en 1528 pour l’église San Lorenzo de Borgo San Sepolcro : c’est la présence curieuse d’un singe, juste derrière la Madone. Pour certains commentateurs, il est l’expression symbolique du démon et de la sottise humaine ; mais on peut sans doute y retrouver aussi l’image plus familière de ce singe («il bertuccione del Rosso») dont Vasari nous dit qu’il avait un esprit «plus proche de l’homme que de l’animal», et que Rosso l’aimait «comme un autre lui-même». Voici le passage des Vies (d’une vivacité et d’une verve presque rabelaisiennes) où Vasari nous conte les exploits et les mésaventures de ce singe :
"Stava il Rosso, quando questa opera faceva, nel Borgo de' Tintori, che risponde con le stanze negli orti de' frati di S. Croce, e si pigliava piacere d'un bertuccione, il quale aveva spirto più d'uomo che d'animale ; per la qual cosa carissimo se lo teneva e come se medesimo l'amava, e perciò ch'egli aveva un intelletto maraviglioso, gli faceva fare di molti servigi. Avvenne che questo animale s'innamorò d'un suo garzone, chiamato Batistino, il quale era di bellissimo aspetto, et indovinava tutto quel che dir voleva, ai cenni, che 'l suo Batistin gli faceva. Per il che, essendo da la banda delle stanze di dietro, che nell'orto de' frati rispondevano, una pergola del guardiano piena di uve grossissime S. Colombane, quei giovani mandavano giù il bertuccione per quella che dalla finestra era lontana, e con la fune su tiravano l'animale con le mani piene d'uve. Il guardiano, trovando scaricarsi la pergola e non sapendo da chi, dubitando de' topi, mise l'aguato a essa, e visto che il bertuccione del Rosso giù scendeva, tutto s'accese d'ira, e presa una pertica per bastonarlo, si recò verso lui a due mani. Il bertuccione, visto che se saliva ne toccherebbe, e se stava fermo il medesimo, cominciò salticchiando a ruinargli la pergola, e fatto animo di volersi gettare addosso al frate, con ambedue le mani prese l'ultime traverse che cingevano la pergola ; in tanto menando il frate la pertica, il bertuccione scosse la pergola per la paura, di sorte e con tal forza, che fece uscire delle buche le pertiche e le canne : onde la pergola et il bertuccione ruinarono addosso al frate, il quale gridando misericordia, fu da Batistino e da gl'altri tirata la fune, et il bertuccion salvo rimesso in camera, perché discostatosi il guardiano et a un suo terrazzo fattosi, disse cose fuor della messa ; e con còlora e mal animo e n'andò all'ufficio degli Otto, magistrato in Fiorenza molto temuto.
Quivi posta la sua querela e mandato per il Rosso, fu per motteggio condannato il bertuccione a dovere un contrapeso tener al culo, acciò che non potesse saltare come prima faceva su per le pergole.
Così il Rosso fatto un rullo che girava con un ferro, quello gli teneva, acciò che per casa potesse andare, ma non saltare per l'altrui come prima faceva. Per che, vistosi a tal supplizio condennato, il bertuccione parve che s'indovinasse il frate essere stato di ciò cagione, onde ogni dì s'essercitava saltando di passo in passo con le gambe e tenendo con le mani il contrapeso, e così posandosi spesso al suo disegno pervenne.
Perché, sendo un dì sciolto per casa, saltò a poco a poco di tetto in tetto, su l'ora che il guardiano era a cantare il vespro, e pervenne sopra il tetto della camera sua. E quivi lasciato andare il contrapeso, vi fece per mezza ora un sì amorevole ballo, che né tegolo né coppo vi restò che non rompesse. E tornatosi in casa, si sentì fra tre dì per una pioggia le querele del guardiano."
Giorgio Vasari Vite de' più eccelenti architetti, pittori, et scultori italiani (Firenze, 1550)
"À cette époque, Rosso, qui habitait dans le quartier des Teinturiers dont les maisons donnent sur les jardins du couvent de Santa Croce, se plaisait à la compagnie d’un singe doué d’un esprit plus proche de l’homme que de l’animal ; aussi le choyait-il tendrement et l’aimait-il comme un autre lui-même ; comme il avait une intelligence merveilleuse, il lui avait appris à rendre de petits services. Il arriva que cet animal s’éprit d’un de ses apprentis nommés Battistino, un très joli garçon : le singe devinait toutes ses intentions aux signes qu’il lui faisait. Or il y avait par-derrière, du côté des chambres donnant sur le jardin des moines, une tonnelle chargée de gros raisins de Saint-Colomban, appartenant au frère portier. Les jeunes apprentis envoyaient le singe en bas jusqu’à la treille qui était assez loin de leur fenêtre et remontaient l’animal, les mains pleines de grappes, à l’aide d’une corde. Le portier voyait sa vigne se dégarnir et ne savait pas qui en était le responsable ; croyant que c’étaient des rats, il fit le guet. Quand il vit descendre le singe de Rosso, la colère s’empara de lui, il empoigna une perche pour lui donner une correction et se jeta sur lui à bras raccourcis. Le singe voyant que, s’il remontait, les coups allaient pleuvoir et que, s’il restait sur place, c’était pareil, commença à sautiller partout et à défoncer la tonnelle ; ayant pris le courage de se jeter sur le moine, des deux mains il saisit les dernières traverses qui maintenaient la tonnelle. Pendant ce temps, le moine bataillait avec sa perche ; le singe pris de panique donna une secousse si forte qu’il fit sortir de leur trou les cannes et les perches : tout s’écroula, singe et tonnelle, sur le dos du moine qui se mit à crier au secours. Battistino et les autres tirèrent la corde et le singe sain et sauf retrouva la chambre ; le portier, une fois dépêtré et monté sur sa terrasse, se mit à les invectiver de tous les noms. Furieux et plein de rage, il se rendit auprès du tribunal des Huit, juridiction fort redoutée à Florence, où il déposa plainte.
Rosso fut convoqué et le singe, par plaisanterie, fut condamné à porter un poids afin de ne plus pouvoir sauter sur les tonnelles comme avant. Rosso lui construisit alors un rouleau avec une chaîne pour qu’il pût se déplacer dans la maison sans toutefois pouvoir sauter chez les autres.
Se voyant condamné à ce supplice, le singe sembla deviner que le moine en était responsable ; tous les jours, il s’entraînait à sautiller en tenant son poids dans les mains et ainsi, par petites étapes, en le déposant souvent, il parvint à ses fins.
Un jour où il était resté seul à la maison, il sauta avec précaution de toit en toit à l’heure où le portier chantait les vêpres et arriva jusqu’à celui de sa chambre. Là il lâcha le poids et se livra pendant une demi-heure à un tel ballet amoureux qu’il ne resta rien d’intact, ni tuile, ni contre-joint. Il rentra chez lui, et les plaintes du portier plurent pendant trois jours."
Giorgio Vasari Les vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes (édition française d'André Chastel)
La très belle édition française intégrale des Vies (sous la direction d'André Chastel) a été rééditée en deux volumes aux éditions Actes Sud dans la collection Thesaurus.
Images : Rosso Fiorentino, Déposition (1528) Église San Lorenzo, Sansepolcro.
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