Le temps du dessin et de la poésie, chez de Pisis, était différent du temps du travail pictural. Il était souvent nocturne, lorsque l'artiste se retrouvait dans la solitude, après le plaisir ; ou bien il précédait de peu le plaisir, en ces après-midi dionysiaques que les proses parisiennes nous ont révélées. Je veux ajouter que ces dessins charnels, des corps ou des visages, ne sont presque jamais signés par de Pisis mais que celui-là les faisait signer par le modèle, ou, si l'on veut, le sujet, ce qui souligne leur fonction mémoriale. Des signatures ont souvent été ajoutées par des faussaires, et des visages aux corps qui n'étaient que des corps, et de la couleur là où de Pisis n'aurait pas songé à la mettre. Les poèmes, comme les dessins, participent d'un anonymat qui est tragique même quand il semble sourire. Que l'on ne s'y trompe pas, les dessins et les poèmes de de Pisis sont ainsi que des lampes dans une nuit qui pourrait faire peur. Raison pourquoi je les aime.
André Pieyre de Mandiargues
Pallido viso
Morto ignoto e lontano
a te tutto il mio cuore.
Tanta inutile gente
blàtera vicino, importuna.
Tu, partito per sentieri alpestri
hai trovato un letto di rose
o la fredda terra ?
Talora a te penso
come alla cara libertà il prigioniero.
Il tuo volto appena ricordo,
ma nel mio sangue resta l'armonia della tua forma.
Nessuna "nota stonata" più
per le miserie quotidiane.
O pallido volto sorridimi
da più pure sfere.
Pâle visage
Mort inconnu lointain
tout mon cœur est à toi.
Tant d'importuns m'entourent
inutiles bavards.
Mais toi sur les sentiers alpestres
as-tu trouvé un lit de roses
ou bien la froide terre ?
Parfois je pense à toi
comme à sa chère liberté le prisonnier.
De ton visage à peine j'ai souvenir
mais dans mon sang demeure
l'harmonie de ta forme.
Nulle «fausse note» ne reste
sous les misères quotidiennes.
Pâle visage souris-moi
du haut de plus pures sphères.
Filippo De Pisis Onze plus un poèmes éditions Fata Morgana, 1983 (Traduction : André Pieyre de Mandiargues)
Image : Filippo De Pisis Ritratto di giovane con cappello
Beau poème. Vous savez très bien éveiller, cher E.F., la curiosité pour des auteurs et artistes confidentiels ou méconnus (du moins de moi).
RépondreSupprimerMerci beaucoup, cher ami. Filippo de Pisis est plus connu comme peintre et dessinateur que comme écrivain, mais j'aime beaucoup ses poèmes, qui ressemblent justement à des esquisses, sensuelles et émouvantes, sans aucun pathos.
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