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vendredi 12 décembre 2014

Amado mio




Ce poème de Pasolini date des années cinquante mais a été publié de façon posthume en 2001, dans les œuvres complètes de Pasolini réunies dans dix volumes de la collection I Meridiani. Il a été publié en France dans l'anthologie bilingue de poèmes inédits, choisis, présentés et traduits par René de Ceccatty (Adulte ? jamais, Points, 2013).


L'identità


Crisi

Posso davvero non morire 
di nostalgia. L'esistenza
fa scordare che fu d'aprile
il trionfo della sapienza
quando il peccato era innocenza
e l'innocenza era peccato.
O aprile, aprile, perso senza 
ragione... anch'io sono passato ?

Sì, qualcuno canta, qui intorno,
in questa nuova città ignota
per il lungotevere piovorno
 « Amado mio », e d'improvviso
dalle prealpi al mare, invisibile,
tutto il Friuli è un miracolo
di luce sulle campagne intrise
di stelle umide e opache.

Amado mio ! quanta giovinezza
che investe col vento serale
un paesaggio cieco di freschezza
dai freschi monti al fresco mare !
Quante stelle stingono l'aria !
Quanti giovani ridono in festa
nella penombra delle strade
nelle chiare piazze d'estate !

Amado mio ! troppo amor
ancora mi spinge a delirare
sopra il tuo mistero svelato
perché io possa morire...
Il sole delle estati, l'umido
degli autunni, non consumano
le tue vive camicie, i calzoni,
la tua pelle nuda, nei campi
chiari, le piazzette cupe...

Amado mio, la tua famiglia
nei dopocena sereni come feste
empie di voci lo stellato,
gli orti... I pioppi sulla roggia
tremano... Dal borgo, lieve,
vibra il colpo dell'incudine...
Ma non sogno ? Questo è il solo
mio passato... Le tue vesti
calde e fresche di mistero...

Pier Paolo Pasolini  






L'identité


Crise

Je peux vraiment ne pas mourir
De nostalgie. L'existence
Fait oublier que ce fut en avril
Le triomphe du savoir,
Quand le péché était innocence
Et l'innocence était péché.
Ô avril, avril, perdu sans
Raison... moi aussi je suis passé ?

Oui, quelqu'un chante, dans les parages,
Dans cette nouvelle ville inconnue
Sur le quai pluvieux du Tibre,
« Amado mio » et soudain
Des Préalpes à la mer, invisible, 
Tout le Frioul est un miracle
De lumière sur les campagnes imprégnées
D'étoiles humides et opaques.

Amado mio ! Que de jeunes
Qui assaillent avec le vent du soir
Un paysage aveugle de fraîcheur
Des collines fraîches à la fraîche mer !
Que d'étoiles pâlissent à l'air !
Que de jeunes rient festivement
Dans la pénombre des routes
Sur les claires places de l'été !

Amado mio ! Trop d'amour
Me pousse encore à délirer
Sur ton mystère dévoilé
Pour que je puisse mourir...
Le soleil des étés, l'humidité
Des automnes, n'usent pas
Tes chemises vives, tes pantalons,
Ta peau nue, dans les champs
Clairs, sur les petites places sombres...

Amado mio, ta famille
Dans les après-dîners sereins comme des fêtes
Remplit de ses voix le ciel étoilé,
Les potagers... Les peupliers le long du canal
Tremblent... Du village, léger
Vibre le coup de l'enclume...
Mais je ne rêve pas ? C'est mon
Seul passé... Tes vêtements
Chauds et frais de mystère...

Traduction : René de Ceccatty 






Images : en haut et au centre, Tiziana de Meis  (Site Flickr)

en bas, Alessandro Cattelan  (Site Flickr)



14 commentaires:

  1. Quelle beauté et quelle douceur... pure comme l'eau fraîche de cette fontaine. René de Ceccatty nous fait là un beau cadeau, encore que l'interprétation magnétique de Rita Hayworth laissait présager ce miracle d'écriture. Oui, le passé nous vient au hasard d'une chanson, d'un paysage comme une offrande de lumière et d'innocence. Nous n'avons pas enlaidi la vie mais ce "trop d'amour" ne pouvait que faire nid dans le passé comme un trésor intime.
    Magnifique page et merci pour les liens (Pier Paolo Pasolini) nous renvoyant à d'autres pages d'une écriture (mots ou film) inscrivant, celui qui ne fut adulte... jamais,.. dans l'intact du souvenir ou dans ses mirages.
    "Qui peut dire où la mémoire commence
    Qui peut dire où le temps présent finit
    Où le passé rejoindra la romance
    Où le malheur n'est qu'un papier jauni

    Comme l'enfant surpris parmi ses rêves..."
    Aragon - "Les yeux d'Elsa"

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    1. Oui, c'est vraiment un très beau poème, dont les thèmes et l'atmosphère renvoient au récit "Amado mio", écrit dans les mêmes années et resté lui aussi inédit (il ne sera publié qu'après la mort de Pasolini, en 1982). On y retrouve la même grâce, la nostalgie de ce Frioul natal qui est resté pour Pasolini le lieu de l'innocence à jamais perdue. Il y raconte une projection du film "Gilda", à laquelle assistent les deux protagonistes du récit, Desiderio et Iasis :

      "Puis on éteignit les lumières et commença ce qui devait être le plus beau film vu par Desiderio. Devant Gilda, quelque chose d'extraordinairement commun envahit tous les spectateurs. La musique d'"Amado mio" était dévastatrice. Au point que les cris obscènes qui se croisaient dans le public, les "Attention, que tes boutons vont sauter", les "Combien tu en tires ce soir ?" semblaient se confondre dans un rythme où le temps paraissait enfin s'apaiser, consentir un délai sans fin heureux. Même quand Iasis, enlacé par Desiderio, posa sa tête sur son épaule, et dans cette atmosphère d'orgie consumée au-delà du temps, avant la mort, le cœur de Desiderio parut enfin se dissoudre, ce fut une émotion haussée à un niveau où les larmes se glaçaient. Rita Hayworth avec son immense corps, son sourire et sa poitrine de sœur et de prostituée — ambiguë et angélique — stupide et mystérieuse — avec son regard de myope froide et tendre jusqu'à la langueur — chantait des profondeurs de son Amérique latine de l'après-guerre, de roman-fleuve, avec une inexpressivité divinement caressante. Mais les paroles d'"Amado mio" l'évoquaient, avec sa beauté de paysanne, comme dans un état d'épuisement ou de "post amorem", blottie contre un indicible muchacho..." (Pier Paolo Pasolini "Amado mio", Folio Gallimard, traduction de René de Ceccatty)

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  2. Quel beau document ! Ambigüe et angélique, comme cela évoque bien Gilda. Un immense film.
    "Grâce, innocence et nostalgie" pour ce livre que je vais lire : "Amado mio".
    Merci, Emmanuel.

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  3. Ce n'est pas la même chanson mais, je pense que Nani Moretti en donne sa propre version dans son "Caro Diario" qui est, je crois, un véritable dialogue avec Pasolini.

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    1. Ah, Julius,
      Caro diaro... Cher journal... Ce "Journal intime" dont une page griffonnée est la première image est bien dans le ton de Fine Stagione. Silence et écriture...
      " Cher journal, il y a une chose que j'aime faire plus que tout... "
      Nanni Moretti écrit ses premiers mots et ses premières images, réflexions qui accompagnent ses journées. C'est sa main, je crois, que l'on voit.
      Un journal en images, réalisé avec liberté et légèreté. Réflexions douces-amères sur la vie au long d'une promenade en vespa dans Rome. Rêveries et paradoxes... Retour à l'origine aussi par l'approche du Stromboli.
      Toutefois, il me rappelle plus Calvino ou Fellini que Pasolini.
      Je crois me souvenir qu'il sort de Rome pour aller à l'endroit où Pier Paolo Pasolini a été assassiné.
      Je garde de ce film une impression de clair-obscur, de noirs et blancs somptueux, de rouges ardents aussi.

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    2. Dans "Caro Diario", on voit une séquence du film "Anna", d'Alberto Lattuada (1951), où Silvana Mangano chante et danse la chanson "El negro Zumbon". La façon dont Lattuada a tourné cette séquence me semble une référence évidente à la scène du cabaret dans "Gilda"...

      On peut voir ici la séquence originale dans le film "Anna".

      Et ici la reprise de la même séquence dans "Caro Diario".

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    3. Christiane : on peut voir à la fin de ce message (tout en bas) la séquence de "Caro Diario" où Moretti se rend sur sa vespa jusqu'au lieu où est mort Pasolini.

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    4. Merci pour tous ces liens nouant un passé proche et ceux plus lointains et douloureux de la mort de Pasolini, enfin de la mémoire ou de la prémonition de cette mort.
      Ce blog - qui est plus une revue car tant de beauté nous en vient - n'en finit pas de m'étonner car il me rapproche ce et ceux que j'aime par une palette haute en couleurs composée de photos, de films, de textes, de musiques qui tressent présent et passé.
      Vu cet après-midi un film étonnant de Mike Leigh " Mr. Turner". Ah, les railleries du public ou les sarcasmes de l'establishment face à sa persévérance. Des œuvres sublimes. Une approche de la lumière par la couleur et la touche, incroyable.

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  4. Dans son film, Moretti fait une sorte d'inventaire de la société italienne de l'époque. Un peu comme l'a fait avant lui Pasolini. C'est bien entendu un inventaire poétique. C'est ce qui me fait penser à un dialogue complice entre les deux qui met en scène les mêmes maux (hélas...)

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    1. C'est juste, Julius, mais je le trouve plus amer, plus désabusé...

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    2. Dans ses derniers textes, et dans son dernier film, Pasolini n'était pas non plus très optimiste sur l'évolution de la société italienne. C'était chez lui plus que de l'amertume : de la rage et du désespoir...

      Je me demande comment il aurait réagi aux dernières révélations sur la corruption généralisée dans les institutions communales et régionales romaines, devenues de vraies sociétés mafieuses, avec des chiffres de détournement d'argent public qui donnent le vertige.

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    3. Il aurait probablement dénoncé encore cet autre scandale et puis... Ou alors, peut-être bien qu'il aurait choisit la solution de Steiner, qui sait?

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    4. Après tout, d'une certaine façon, il l'a peut-être choisie, cette solution...

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    5. oui, vous avez raison ( comme toujours !)

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