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samedi 8 novembre 2014

Come un romanzo (Comme un roman)




Le dernier ouvrage d'Eugenio Baroncelli, Gli incantevoli scarti (Les écarts enchanteurs, ou peut-être aussi Les rebuts enchanteurs) propose cent romans, chacun étant composé de cent mots. Ce sont donc des esquisses, ou plutôt des concentrés de romans, dont la concision laisse au lecteur la possibilité d'imaginer, d'approfondir, de développer l'hypothèse de fiction qui lui est proposée. Nous sommes ici dans le sillage des expériences de l'Oulipo (l'Ouvroir de littérature potentielle), mais aussi de Borges ou de Calvino ; les romans sont classés par genre : épistolaires, sensuels, romans roses ou noirs, romans historiques ou biographiques, romans d'aventures... Je cite ici trois exemples de ces romans brefs, qui, au-delà de l'intérêt expérimental de l'entreprise, offrent aussi un délicieux plaisir de lecture :

Ci vuole gusto

« Mi scriverai ? ». « Ti scriverò », promise Stella. Fu di parola. La prima lettera sapeva di terra. Veniva dal giardino in cui piantava le patate dolci. La seconda sapeva di mare : l’Egeo in cui si tuffa tra una frase e l’altra. La terza sapeva di pioggia (l’avrà presa sulla strada per l’ufficio postale). La quarta sapeva di fumo. Veniva dalle notti in cui covava il fuoco delle sue eterne Camel senza filtro. La quinta sapeva di sangue : l’ultimo sangue che esce da una ferita mortale. La sesta sapeva di tenebre, come una bottega chiusa. La settima profumava di lavanda, come i morti.




Il faut avoir du goût

« Tu m’écriras ? ». « Je t’écrirai », lui promit Stella. Elle tint parole. La première lettre avait un goût de terre. Elle provenait du jardin où elle plantait les patates douces. La seconde avait un goût de mer : l’Égée dans laquelle elle plongeait entre une phrase et l’autre. La troisième avait un goût de pluie (elle l’aura prise sur la route de la poste). La quatrième avait un goût de fumée. Elle provenait des nuits où couvait le feu de ses éternelles Camel sans filtre. La cinquième avait le goût du sang : le dernier sang qui s’échappe d’une blessure mortelle. La sixième avait un goût de ténèbres, comme une boutique fermée. La septième avait un parfum de lavande, comme les morts.


Lope de Aguirre, angelo ammutinato

Basco di Guizpuzcoa, attraversò il Nuovo Mondo come un tumore furibondo. Là, con la sua voce bruciata dal rum, abbaiò al re Filippo e agli uomini. Là, lui che era un diavolo, febbrilmente corse in cerca del Paradiso, che allora si chiamava El Dorado. Ebbe due morti. La prima in un film, dove, mascherato da Klaus Kinski, finiva circonfuso di scimmie che gridano. La seconda, in una autentica baracca di Barquimiseto, dove fu fucilato dai soldati imperiali il 27 ottobre 1561. Il corpo fu smembrato e disperso in varie città del Venezuela. L’anima, probabilmente, ritornò là da dove era venuta.




Lope de Aguirre, ange mutiné

Basque de Guipuzcoa, il parcourut le Nouveau Monde comme une tumeur furieuse. Là, avec sa voix brûlée par le rhum, il aboya conte le roi Philippe et contre les hommes. Là, lui qui était un diable, il courut fébrilement en quête du Paradis, qui alors s’appelait El Dorado. Il eut deux morts. La première dans un film, où, déguisé en Klaus Kinski, il finissait encerclé par des singes hurleurs. La seconde, dans une authentique baraque de Barquimiseto, où il fut fusillé par des soldats de l’Empire le 27 octobre 1561. Son corps fut démembré et dispersé dans plusieurs cités du Venezuela. Son âme, probablement, retourna là d’où elle était venue. 


Perseguitata

Myriam correva. Un ora prima della partenza per Tahiti, scivolò sulla scala mobile e crac, si spezzò una caviglia. L’aereo si alzò fra i suoi rimpianti, annaspò nel cielo azzurro e splash, si inabissò nel mare di Rovigno. Tre mesi dopo che le avevano tolto il gesso, la sua amica Fiorenza festeggiava il compleanno in una discoteca sui colli. Myriam sbagliò una curva e crash, alla festa non arrivò mai. Intanto la discoteca andava a fuoco per un inesplicabile corto circuito, con dentro Fiorenza e le ventidue candeline della torta ancora spente. Myriam piangeva. Povera lei, perseguitata dalla fortuna.




Persécutée

Myriam courait. Une heure avant son départ pour Tahiti, elle glissa sur le tapis roulant et crac, elle se rompit une cheville. L’avion décolla à son grand désespoir, s’agita dans l’azur du ciel et splash, sombra dans la mer de Rovigno. Trois mois après qu’on lui eut ôté son plâtre, son amie Florence célébrait son anniversaire dans une discothèque sur les collines. Myriam manqua un virage et crash, elle n’arriva jamais à la fête. Au même moment, la discothèque prenait feu à cause d’un inexplicable court-circuit, avec à l’intérieur Florence et les vingt-deux bougies du gâteau encore éteintes. Myriam pleurait. Pauvre Myriam, persécutée par la chance.

Eugenio Baroncelli  Gli incantevoli scarti  Sellerio editore Palermo, 2014  (Traductions personnelles)



Images : (1) Samuel van Hoogstraten  Huile sur toile, 1664 (détail) Dordrechts Museum, Dordrecht

(2)  Michel Séguret  (Site Flickr)

(3)  Klaus Kinski dans Aguirre, la colère de Dieu, de Werner Herzog

(4)  Davide Tallento  (Site Flickr)




2 commentaires:

  1. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  2. Elle relut les lettres l'une après l'autre, les enferma dans le tiroir de son bureau.
    Dans la ville, assise sur un banc, elle déchira une page de son carnet, saisit le crayon, esquissa le croquis d'un arbre proche, inscrivit le nom aimé. Puis les mots se figèrent. A quoi bon... Tout était loin déjà.
    Elle froissa la page et glissa la petite boule de papier au fond de sa poche contre son galet. Une odeur de lavande et de fumée imprégna le soir... Elle releva le col de son manteau. L'hiver, déjà...
    La pluie commença à tomber.

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