Translate

vendredi 21 mars 2014

Je te l'ai dit...




« Toute caresse, toute confiance se survivent » : voilà ce que j’ose espérer, et qu’il me semble avoir jusqu’à présent vérifié. On remarquera que le poète, lui aussi, met la caresse avant la confiance. Mais il ne les dissocie pas. D’heureuses dispositions érotiques et sentimentales (ou que je juge telles parce que ce sont les miennes, admettons de l’envisager) m’ont fait associer, toujours, le plaisir et l’immédiate affection, la reconnaissance peut-être, la tendresse, un amour épars. Je n’ai pas eu besoin d’être amoureux, certes, comme d’aucuns, et surtout des femmes, soutiennent qu’ils doivent l’être, pour éprouver la volupté ; mais elle m’a toujours inspiré, pour peu qu’elle fût partagée dans la douceur, l’amusement et la facilité, des sentiments qui étaient d’amour, oui, et qui le demeurent. C’est dire une fois de plus que m’est totalement étrangère, indifférente ou vaguement rebutante, même si par libéralisme je la respecte chez les autres, à condition qu’ils n’y contraignent personne, toute érotique de la violence, de l’animosité soit-elle jouée, de la douleur infligée ou subie. Je ne comprends rien à tout cela. En ce qui me concerne, foin des coups, des morsures et pincements. Et puisque Eluard ne recule pas devant le mot, je n’en craindrai pas non plus l’obscène fleur bleue : ne me plaisent que les caresses. Elles ont seules le pouvoir de fondre en une jouissance unique, la plus intense, les deux passions jumelles qui me font vivre, celle des garçons, celle des lieux. La plus belle des cartes du monde, c’est celle où les continents sont des sourires, où les provinces sont autant de prénoms, où les villes ont des yeux d’amants, des torses, des voix, des cœurs même s’ils nous oublient. In Ispagna son già mille e tre. Sans doute. Mais (outre que nous en sommes loin), Don Juan n’aime pas ses "conquêtes", et ne songe qu’à les abandonner, les tromper, les mépriser ; tandis que nous ne conquérons rien — comment le pourrions-nous, si seulement nous le souhaitions ? —, ni personne. Le même baiser qui fonde pour nous la cité nous y dilue, la même jouissance qui bâtit la maison nous y dépouille encore de notre consistance empruntée, la plage qui s’offre à nos étreintes n’en garde que le sable où nous nous sommes en criant répandus. L’équinoxe effacera les traces. Nous n’aurons souhaité rien d’autre, sauf de faire plus harmonieusement résonner ce vide, notre absence, notre plus solennelle « résidence sur la terre ». 

Renaud Camus  Elégies pour quelques-uns   Editions P.O.L, 1988








Images :  en bas, (1) Herbert List  Water games I

(2) Renaud Camus  (Site Flickr)



1 commentaire:

  1. Cette sympathie morale et affective est prolongée, pourtant, par la transgression. Georges Bataille dans son livre L'érotisme (éd. de Minuit), dédié à Michel Leiris , écrit ces premières lignes : "De l'érotisme, il est possible de dire qu'il est l'approbation de la vie jusque dans la mort.". La rencontre amoureuse avec l'être aimé a besoin d'un trouble nécessaire au-delà de la plénitude car la fusion est précaire, prologue de la souffrance (mort- séparation...). Elle est défi. La mort est très proche de ... la "petite mort".
    Je pense au très beau film d'Alain Guiraudie L'inconnu du lac. La transgression du désir conduit, là, à la mort.
    Ce texte, très... reposant, semble une trêve dans l’œuvre de Renaud Camus.
    J'ai beaucoup aimé ce poème d'Eluard. Le relisant, je découvre que je l'envoie souvent à des amis ayant perdu un être cher. Comme si le bonheur se lisait au passé, après l'éblouissement qui nous laisse sans voix et qui fige le temps.

    RépondreSupprimer