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lundi 8 août 2011

Un filo d'olio (Un filet d'huile)





Un filo d’olio (Un filet d’huile) de Simonetta Agnello Hornby, récement paru aux élégantes éditions palermitaines Sellerio, est le récit d’une enfance sicilienne, dans les années cinquante. Tous les étés, Simonetta et sa famille (son père est le baron Agnello) se rendent dans la grande propriété familiale de Mosè, près d’Agrigente ; l’auteur se souvient des jeux de l’enfance dans ce paradis campagnard, mais aussi des rites qui marquent leur séjour : la confection du pain (la famiata), les récoltes (olives, amandes, coton, vendanges), les visites (un chapitre très drôle, I pretini (Les petits prêtres), est consacré au récit de la pacifique invasion de Mosè par les élèves d’un séminaire d’Agrigente...). La cuisine est le royaume d’Elenù (la mère de Simonetta) et de sa sœur Teresù, qui y préparent de délicieux plats traditionnels avec les différents produits de la ferme ; on trouve à la fin du livre ces recettes familiales recueillies et adaptées par la sœur de Simonetta, Chiara Agnello, qui réside aujourd'hui au domaine de Mosè devenu une ferme d’agritourisme très renommée. En lisant ce beau récit si attentif aux détails, aux sensations, à la présence de la nature, le lecteur français pense souvent aux merveilleuses évocations de Colette, dans Sido, La Maison de Claudine ou Les Vrilles de la vigne. Je cite ici un extrait du chapitre intitulé Giochi di gruppo : merende, scavi e bersaglieri (Jeux collectifs : goûters, fouilles et bersagliers) :

Le nostre avventure si concentravano perlopiù nell’oliveto, dove la trazzera si tramutava in una pista che attravversava una conca leggera e suggestiva. Lì crescevano gli alberi più antichi di Mosè, maestosi olivi saraceni diversi uno dall’altro e appartenenti a tre antiche varietà : Binancolilla, Ogliare e Giarraffa. Alcuni avevano la chioma spampazzata ed enormi tronchi contorti – come sacchi ruvidi lavati, attorcigliati e lasciati ad asciugare al sole – che si curvavano sul terreno e sembravano lì lì per cadere. La corteccia era secca, e in parte sollevata : sotto le squame brulicavano larve bianche, cieche. L’olivo sembrava morto, ma non lo era : quella era la pelle rugosa di un albero che non voleva morire, come dimostrato dai getti di olivastro che spuntavano in mezzo alle radici esterne. Ci arrampicavamo su quegli alberi e ci calavamo nella cavità interna, buia come un tunnel della miniera. Altri olivi, martoriati da nodi e bubboni, erano attorcigliati su se stessi ; altri ancora si dividevano alla base in tre tronchi, ciascuno in una direzione differente, come slanciate Proserpine a braccia protese verso il cielo e trasformate in albero.

Seduti sulla coperta stesa ai piedi di uno di quegli olivi, le spalle appoggiate al tronco, ci godevamo la vista, i suoni e i profumi della campagna arsa : il colore cangiante delle foglie, verde argento, il frinire delle cicale, il cinguettio degli uccelli nascosti nella chioma degli alberi e l’odore dell’erba calpestata che sembrava secca ma non lo era. Poi mangiavamo. Io sceglievo sempre le merende più saporite, come pane e acciuga – un velo di polpa di acciuga schiacciata tra due fette di pane stagionato su cui era stato spremuto mezzo limone –, poco adatte alla calura : facevano venire una gran sete. Giuliana se ne accorgeva e tirava fuori dalla sacca susine dolci, fichi verdi e perine profumate che rinfrescavano il palato. Ogni tanto portava una tavoletta di cioccolato amaro, da dividere tra tutti : conservavamo con cura la stagnola per poi avvolgerla in un nuovo strato sulla palla di stagno che preparavamo ogni estate e che poi veniva riciclata per beneficenza.

Dopo la merenda ci sdraiavamo per il riposino d’obbligo. Io guardavo il cielo luminoso attraverso i rami di olivo.
Completamente felice.

Simonetta Agnello Hornby Un filo d'olio Ed. Sellerio





Nos aventures se déroulaient principalement dans l’oliveraie, là où le chemin de terre devenait une piste qui traversait une cuvette douce et évocatrice. C’était là que se trouvaient les plus vieux arbres de Mosè, des oliviers majestueux, tous différents les uns des autres, appartenant à trois anciennes variétés : Biancolilla, Ogliare et Giarraffa. Quelques uns avaient un feuillage clairsemé et d’énormes troncs tordus – tels d’énormes sacs de toile rêche que l’on aurait pressés avant de les laisser sécher au soleil – qui s’incurvaient jusqu’au sol et semblaient sur le point de s’effondrer. L’écorce était sèche, et en partie détachée : sous les écailles grouillaient des larves blanches et aveugles. L’olivier semblait mort, mais il ne l’était pas : c’était la peau rugueuse d’un arbre qui ne voulait pas mourir, comme en témoignaient les rejets d'oléastre visibles sur les racines externes. Nous grimpions sur ces arbres et nous nous glissions dans la cavité interne du tronc, aussi sombre que la galerie d’une mine. D’autres oliviers, torturés par des nœuds et des bubons, étaient enroulés sur eux-mêmes ; certains se divisaient à leur base en trois troncs, chacun tourné dans une direction différente, comme des Proserpines aux bras tendus vers le ciel qui auraient été changées en arbres.

Assis sur la couverture étendue au pied de l’un de ces oliviers, les épaules appuyées au tronc, nous profitions de la vue, des sons et des parfums de la campagne aride : la couleur changeante des feuilles vert argent, la stridulation des cigales, le gazouillis des oiseaux cachés dans le feuillage des arbres, et l’odeur de l’herbe foulée qui semblait sèche mais ne l’était pas vraiment. Puis nous goûtions : je choisissais toujours les mets les plus salés, comme le pain aux anchois – une couche de pulpe d’anchois étalée entre deux tranches de pain sec sur lesquelles on avait pressé la moitié d’un citron –, une nourriture peu adaptée à la grande chaleur : elle nous donnait très soif. Giuliana s’en apercevait et sortait du sac des prunes douces, des figues vertes et de petites poires parfumées qui nous rafraîchissaient le palais. Parfois, elle emportait une tablette de chocolat amer, dont elle donnait à chacun une part : nous conservions précieusement le papier d’argent qui nous servirait à envelopper une boule d’étain que nous confectionnions chaque été et qui devenait un lot pour une œuvre de bienfaisance.

Après le goûter, nous nous allongions pour la petite sieste obligatoire. Je contemplais le ciel lumineux entre les branches d’olivier. Pleinement heureuse.

(Traduction personnelle)






On peut lire en français plusieurs romans de Simonetta Agnello Hornby ; je recommande tout particulièrement le premier, très réussi, L'Amandière, paru dans la collection de poche Points.



Sur le même thème, Dans le village de Mosè (Julius Marx)


Les deux photos sont de l'auteur du blog Off the beaten track in Palermo

2 commentaires:

  1. Merci pour ce bonheur de lecture qui m'enlève au pays rude de mon enfance provençale... Plus tard je suis revenue et, plantée sur la terre sèche, la tête bourdonnante de soleil, de lumière et de cigales, j'ai gravé à même le métal les ravines du tronc de l'olivier. ça saignait noir dans la mémoire. Etait-ce l'encre à venir ou la rumeur interrompue des anciens ? Les collines au loin chantaient bleu et le Rhône, proche, roulait ses eaux grises et toujours menaçantes...
    Comme j'aime que vous soyez revenu de là-bas pour tout cela ici qui bruit à nos yeux et à nos oreilles. Merci Emmanuel.

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  2. Merci à vous, Christiane, pour ce très beau commentaire !

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