Une belle évocation du célèbre Piper, le club romain inauguré en février 1965, dans le roman de Simonetta Greggio Dolce Vita, sur lequel je reviendrai :
Claquements des portières. Les Alfa Romeo, Giuletta, Spider se garent entre la Villa des Grenouilles et la Maison des Fées. Le Piper, nouvelle boîte pop, vient d’ouvrir ses portes, mille lires pour une double ration de musique live, Rokes et Equipe 84. À partir d’aujourd’hui, tous les soirs le quartier Coppedè de Rome, un secteur calme et vert parsemé de villas Art déco, liberty et baroque, va se transformer en parking. L’air calme et doux de la longue soirée romaine résonne des pas d’hommes cravatés accompagnés de leurs épouses, d’éclats de rire de gosses de bonne famille en cachemire donnant le bras à de sages demoiselles en jupes écossaises et talons bas, mais plus la nuit avance, plus la foule qui se presse est jeune, si jeune que la vingtaine est l’âge des plus vieux, garçons aux pantalons rayés et filles à la jupe retroussée dans la ceinture pour la raccourcir. Une camionnette de carabiniers guette l’entrée du club. C’est ici qu’on récupère nuit après nuit les écolières du Sacré-Cœur et les héritiers en tenue de collège, fugueurs évadés d’une Italie étriquée, rabougrie et desséchée qui les ennuie à en crever. Le passage entre le pays en noir et blanc et le monde auquel ils aspirent, criard et violent, se fait au n° 9 de via Tagliamento.
(...)
Tendance Piper. Du neuf, du sang rouge, du son rauque, des voix qui réveillent les morts, des mots à hurler entre deux murmures chauds. Soir après soir, les chanteurs et les musiciens viennent faire leurs preuves ici. Le Piper n’accepte que les révoltés, les insoumis, les insolents, les effrontés.
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C’est une toute jeune fille blonde, Vénitienne menue aux yeux bridés, seize ans, timide et arrogante, puis un garçon façonné en fil de fer, trop gracieux pour plaire aux femmes, une très jeune fille à la voix rauque de mec en colère, et encore une autre avec la tête de Françoise Sagan, le petit monstre des lettres françaises. Patty Pravo, Renato Zero, Caterina Caselli, Rita Pavone, Mita Medici, et l’incroyable Mal dei Primitives, sombre, embrasé, yeux incandescents et corps d’éphèbe affamé. Tous entre quatorze et vingt ans, alors que le Piper est interdit aux moins de dix-huit. Qu’importe, on se faufile par l’arrière, on invoque un oncle avec qui on a rendez-vous à l’intérieur. Rock’n roll, baby. Quelques mots nouveaux, une porte qui s’ouvre sur un univers dont on ne se doutait même pas.
Simonetta Greggio Dolce Vita (1959-1979), éditions Stock, 2010
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