Federico Garcia Lorca (5 juin 1898 - 19 août 1936)
Dans son ouvrage Sogni di sogni (Rêves de rêves), Antonio Tabucchi imagine les rêves d'artistes qu'il a aimés. Voici (dans une traduction personnelle) celui de Federico Garcia Lorca :
Une nuit d’août
1936, dans sa maison de Grenade, Federico Garcia Lorca, poète et antifasciste,
fit un rêve. Il rêva qu’il se trouvait sur la scène de son petit théâtre ambulant et qu’il chantait des complaintes gitanes en s’accompagnant au piano.
Il portait un frac, mais avait sur la tête un chapeau à large bord. Le public était
composé de vieilles femmes vêtues de noir, avec une mantille sur les épaules,
qui l’écoutaient ravies. Dans la salle, une voix lui demanda une chanson, et
Federico Garcia Lorca se mit à la jouer. C’était une chanson qui parlait de
duels et d’orangeraies, de passions et de mort. Quand il eut fini de chanter,
Federico Garcia Lorca se leva et salua le public. Le rideau tomba et ce n’est
qu’à ce moment-là qu’il s’aperçut que derrière le piano il n’y avait pas de
coulisses, mais que le théâtre s’ouvrait sur une campagne déserte. C’était la
nuit, et la lune brillait. Federico Garcia Lorca écarta le rideau de scène et
il vit que le théâtre s’était vidé comme par enchantement, la salle était complètement
déserte et les lumières s’éteignaient. Au même moment, il entendit un jappement
et il découvrit derrière lui un petit chien noir qui paraissait l’attendre.
Federico Garcia Lorca sentit qu’il devait le suivre et il fit un pas dans sa
direction. Le chien, comme s’il obéissait à un signal convenu, commença à
trottiner lentement en lui ouvrant le chemin. Où me conduis-tu, petit chien
noir ? demanda Federico Garcia Lorca. Le chien gémit douloureusement et
Federico Garcia Lorca frissonna.
Il se retourna pour regarder derrière lui, et
il vit que les parois de toile et de bois de son théâtre avaient disparu. Il ne
restait plus qu’une scène déserte sous la lune, tandis que le piano, comme si
des doigts invisibles l’effleuraient, continuait à jouer tout seul une ancienne
mélodie. La campagne était bornée par un mur : un mur blanc long et
inutile derrière lequel on apercevait une autre campagne. Le chien s’arrêta et
se remit à japper, et Federico Garcia Lorca s’arrêta lui aussi. C’est alors que
de derrière le mur surgirent des soldats qui l’encerclèrent en riant.
Ils étaient vêtus de brun et coiffés de tricornes. Dans une main ils tenaient
un fusil et dans l’autre une bouteille de vin. Leur chef était un nain monstrueux,
avec une tête pleine de verrues. Tu es un traître, dit le nain, et nous sommes
tes bourreaux. Federico Garcia Lorca lui cracha au visage pendant que les soldats
l’immobilisaient. Le nain rit de façon obscène et demanda aux soldats de lui ôter
son pantalon. Tu es une femme, dit-il, et les femmes ne doivent pas porter de
pantalon, elles doivent rester à la maison et se couvrir la tête avec une
mantille. À un signe du nain, les soldats l’attachèrent, lui ôtèrent son
pantalon et lui mirent un châle sur la tête. Femme dépravée qui t’habilles comme
un homme, dit le nain, il est temps pour toi de prier la Madone. Federico
Garcia Lorca lui cracha au visage et le nain s’essuya en riant. Puis il sortit
un revolver de sa poche et lui mit le canon dans la bouche. On entendait dans
la campagne le son d’un piano jouant une mélodie. Le chien se mit à japper.
Federico Garcia Lorca entendit un coup et il sursauta dans son lit. On frappait
à la porte de sa maison de Grenade avec des crosses de fusils.
Antonio Tabucchi Sogni di sogni Sellerio editore Palermo, 1992 (Traduction personnelle)
Rêve prémonitoire... Être lumineux...
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