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mercredi 5 avril 2017

La veduta




Un extrait du livre de Sylvain Tesson, Sur les chemins noirs :

Le 9 octobre, dans la Creuse

Les forêts se doraient, que le sorbier ponctuait de rouge. Les pommiers croulaient sous les fruits. Leurs contours japonisaient la rousseur des orées. Le vent arrachait des paillettes aux arbres des fossés. Elles tombaient en copeaux, motifs de Klimt. J'aurais donné un doigt de pied pour cheminer de concert avec un professeur de l'école du Louvre qui m'aurait dispensé à chaque coup d’œil un cours d'histoire de la peinture du paysage. Pourquoi les peintres européens avaient-ils mis si longtemps à quitter leurs ateliers pour planter leurs chevalets dans les paysages ? Pourquoi avaient-ils tardé à convier le monde dans leurs œuvres ? Il est probable que recevoir dans sa soupente de jolies modèles prêtes à poser nues prédispose à rester chez soi.




Les motifs religieux avaient longtemps été les seuls autorisés par le pouvoir. L'homme médiéval appartenait à Dieu, la peinture exprimait le sacré. La Renaissance avait libéré l'inspiration. Les Flamands avaient peint leurs campagnes. Bruegel avait fait des patineurs et des petits canards le sujet de ses toiles. Avant lui, certains artistes avaient tout de même contourné les impératifs de l’Église en inventant la veduta : ils ménageaient dans une scène sacrée une fenêtre par laquelle se déployait une perspective sauvage. Des Vierges à l'Enfant se trouvaient assises sous des croisées dans l'enchâssure desquelles serpentaient des rivières. Un maître de la Renaissance italienne, Bernardino Luini, avait représenté côte à côte la Vierge et sainte Élisabeth tenant respectivement sur leurs genoux un énorme Enfant Jésus et un petit saint Jean-Baptiste grassouillet. Le groupe se tenait devant une forêt luxuriante dont on entendait presque froufrouter les ramures. J'imaginais que le Christ aurait bien aimé s'échapper avec son camarade pour aller jouer aux Indiens dans les fourrés. Nouveau ressort de la fuite sur les chemins noirs : échapper aux conventions, passer par la veduta, rejoindre les forêts dans l'arrière-plan.

Sylvain Tesson  Sur les chemins noirs  Gallimard, 2016








Images : Bernardino Luini  Vierge à l'Enfant, avec sainte Élisabeth et saint Jean-Baptiste (1500-1532) Musée des Beaux-Arts de Budapest

Source des reproductions : DeBeer  Site Flickr

La photo de Sylvain Tesson dans la forêt (détail) est de Thomas Goisque
 


3 commentaires:

  1. J'ai beaucoup aimé ce livre de Sylvain tesson, sa façon attentive et méditative de remonter ces chemins. Les liens sont très beaux (je peux les ouvrir !). Quant aux photos, je suppose que ce sont celles de Sylvain Tesson... le Klimt est bien trouvé ainsi que ce concerto de Vivaldi pour cette petite flute gracieuse et légère.
    Thomas Goisque est son ami d'aventures, je crois.
    "L'homme médiéval appartenait à Dieu"... Un peu d'éloignement n'a rien ôté au sacré ni aux vierges de la Renaissance et leur poupon potelé. Mais l'homme marche seul maintenant... sur des chemins noirs.

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    1. Christiane, j'ai encore vérifié aujourd'hui les paramètres du blog et je l'ai testé sur plusieurs appareils, tout fonctionne normalement ; si les perturbations persistent de votre côté, il faudrait peut-être vérifier si votre antivirus ne bloque pas l'accès à certains sites ou à certains contenus (images, photos) de façon abusive, ou si vous n'avez pas modifié les paramètres de votre navigateur Firefox, ou si certains plugins ne doivent pas être mis à jour, comme par exemple Adobe Flash ; je ne vois pas d'autre explication pour le moment !

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