Pour saluer Giuseppe Bertolucci, qui vient de mourir à l'âge de soixante-cinq ans, je cite l'une des poésies que lui avait consacrées son père, Attilio Bertolucci, et le commentaire du fils, soixante ans plus tard, dans son livre de souvenirs Cosedadire :
Le more
La luce di settembre dentro gli occhi
volgendoti mi hai chiesto delle more
che l'estate piovosa non matura
sull'Appennino quest'anno del tuo primo
ricordare, quest'anno che declina,
ci porta via, foglie sbandate
che si cercano, che ancora si ritrovano,
come quando sul Bratica ti chini
a una flottiglia verde e silenziosa.
Attilio Bertolucci La capanna indiana, Ed. Garzanti, 1951
Les mûres
La lumière de septembre dans les yeux
en te retournant tu m'as interrogé sur les mûres
que l'été pluvieux a empêché de mûrir
sur l’Apennin en cette année où tu te souviens
pour la première fois, cette année qui décline,
et nous emporte, feuilles dispersées
qui se cherchent, qui encore se retrouvent,
comme quand tu te penches sur le Bratica
au passage d'une flottille verte et silencieuse.
(Traduction personnelle)
«Dans le poème Les mûres – qui commence, et ce n'est pas un hasard, par le vers "La lumière de septembre dans les yeux" – le regard de l'enfant, cherchant dans les buissons, remarque l'absence des mûres ; la comparaison avec l'année précédente (il découvre ainsi la fonction de la mémoire, "cette année où tu te souviens pour la première fois") le pousse à interroger son père sur la raison de cette absence, de cette maturité manquée. Mais le père ne sait pas quoi répondre. Dans cette saison, tout semble commandé par le hasard, comme ces feuilles emportées par le torrent, que l'enfant ravi observe avec un regard émerveillé.
Combien de questions restent sans réponse dans le dialogue constant entre un adulte et un enfant, entre un fils et son père... Combien de vides impossibles à combler ! Combien d'existences entières consacrées – de façon souvent inconsciente – à chercher d'impossibles réponses pour combler ces vides.»
J'aime vraiment beaucoup les interrogations du dernier paragraphe. Dans les questions posées par l'enfant au père. Il n'y a pas de réponse possible car la question est cachée dans la question : -M'aimes-tu ?
RépondreSupprimerLe langage sert souvent d'écran aux questions qui nous brûlent les lèvres et qui bien sûr seront tues... La musique choisie le rappelle... Je me suis habituée à lire Emmanuel.F sous ces magnifiques citations et photos... et par ricochet de pierre plate sur la surface lisse des mots le monde englouti des questions d'eaux sombres... Silencio...
Merci de ce commentaire, Christiane, toujours si attentive et si bienveillante !
RépondreSupprimerLa musique est extraite de la bande originale du film de Giuseppe Bertolucci "Il dolce rumore della vita" ("Le doux bruit de la vie" : malheureusement, le film n'est pas aussi beau que son titre, et Giuseppe n'est pas un réalisateur aussi doué que son frère aîné Bernardo...).
La musique c'est aussi celle d'une belle chanson d'Edith Piaf : "L'amant de Saint-Jean". La connaissez-vous ?
RépondreSupprimerAh oui, bien sûr ! Je crois que la première fois que j'ai entendu cette belle chanson, c'était dans "le Dernier métro" de François Truffaut (la version de Lucienne Delyle, si ma mémoire est bonne).
Supprimeroui, c'est exact. Bonheur de souvenirs partagés. Belle journée.
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