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mardi 31 août 2010

Lu libbru di li persi (Le livre des disparus)



And who by fire, who by water,

Who in the sunshine, who in the night time,
Who by high ordeal, who by common trial,
Who in your merry merry month of may,
Who by very slow decay,
And who shall i say is calling ? 

Leonard Cohen Who by fire






Rosa Balistreri chante Morsi cu morsi (Qui est mort est mort) (texte et musique de Giuseppe Ganduscio) :


Morsi cu morsi… cu m'amava persi
Comu fineru li jochi e li spassi,
Comu fineru li jochi e li spassi...

'Sta bedda libbirtà comu la persi
L'hannu 'n putìri li canazzi corsi,
L'hannu 'n putiri li canazzi corsi...

Chianciti tutti, li lïùna e l'ursi
Chianci me matri ca 'a vivu mi persi,
Chianci me matri ca vivu mi persi...

Cu dumànna 'i mìa?…Comu 'un ci fussi
Scrivitimi a lu libbru di li persi,
Scrivitimi a lu libbru di li persi...


Qui est mort est mort, et j'ai perdu qui m'aimait

Le temps des jeux et du bonheur est passé...

J'ai perdu ma belle liberté
Livrée aux chiens courants...

Vous pleurez tous, même les lions et les ours,
Comme pleure ma mère qui vivant me perdit...

À qui demande de mes nouvelles, dites que je n'existe plus,
Inscrivez mon nom dans le livre des disparus...






Leonardo Sciascia parle de cette chanson dans son recueil de courts essais Cruciverba (Mots croisés, Fayard, 1985), plus précisément dans le texte qu'il consacre à Renato Guttuso. Je cite ici ce passage dans la traduction de Jean-Noël Schifano :

«J’observe Guttuso tandis qu’il écoute les chansons désespérées de Rosa Balistreri. C’est comme s’il était arrivé aux racines de son angoisse, au fouillis nu des peurs antiques, des antiques souffrances. Quand Guttuso est à Palerme, les soirées sont fréquentes, chez les amis, où Rosa Balistreri chante : avec sa voix viscérale et déchirée, pleine d’amour et de rancœur. D’entre tous les chants, Guttuso semble préférer Morsi cu morsi : un chant de détenu mystérieusement dolent, qui cèle une identité, une histoire. "Elle est morte celle qui est morte et j’ai perdu celle qui m’aimait, les jeux et le bon temps sont finis" : et on traduit tout naturellement "morte" au lieu de "mort" car on a le sentiment que l’homme a tué celle qui l’aimait et qui l’aimait : il découvre, alors, qu’il l’a tuée injustement ; de là le remords, et la contemplation du bonheur lointain et disparu.

"J’ai perdu la belle liberté, je suis désormais au pouvoir des sbires, féroces comme chiens courants ; ainsi tous ils pleurent, même les lions et les ours ; et pleure ma mère, qui moi vivant me perdit. À qui demande de mes nouvelles, faites comme si je n’étais plus : écrivez mon nom au livre des perdus." Nous tuons toujours les choses que nous aimons, nous regrettons toujours les verts paradis de l’enfance et de l’amour ; le monde est une prison, les chiens courants nous plantent leurs crocs. Mais pleure la mère, la nature qui est mère pleure avec elle : et ce ne sont que pleurs sur notre être vivant. Mieux vaut donc être mort, coulé dans le livre des perdus.»






Images : Renato Guttuso Crocifissione (1942) (Source)

6 commentaires:

  1. Quelle étonnante crucifixion!(Merci pour les détails en ajout) aussi écorchée et désespérée que le Guernica de Picasso - que l'on retrouve dans la tête du cheval en détresse, et cette voix de Rosa Balistreri qui va chercher si loin le lieu où le coeur se brise.
    Page envoûtante qu'on ne peut maitriser tant elle brave les interdits. Quelle liberté ! et du peintre et de cette femme en sa façon de chanter et dans les mots de Leonardo Sciascia à propos de Renato Guttuso. Oui on peut tuer ceux qu'on aime en les aimant (écho d'une chanson aussi déchirante du grand Léo Ferré "Et quand il croit serrer son bonheur, il le broie... il n'y a pas d'amour Heureux" - un poème d'Aragon)

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  2. La voici en poème lu avec des visages d'Aragon
    http://www.youtube.com/watch?v=pj1jkUIO66Y

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  3. Désolée pour l'erreur c'est un autre grand : Georges Brassens qui chanta ce poème !
    http://www.youtube.com/watch?v=Ujj-F4GJ4EY

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  4. Et voici le texte. Ce serait bien s'il était traduit en italien pour vos lecteurs...
    http://www.feelingsurfer.net/garp/poesie/Aragon.Amour.html

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  5. Merci pour ce commentaire, chère Christiane ! La référence à Picasso (et à Guernica) me semble effectivement très pertinente concernant ce tableau de Guttuso. Vous pouvez trouver de très éclairants commentaires sur cette "Crocefissione" en cliquant sur le lien marqué "Source", tout en bas de mon message. Pour la traduction italienne du poème d'Aragon, il y en a une ici...

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  6. L'analyse de cette toile (27 à 61) est étonnante et riche. J'ai été heureuse de voir le rapprochement avec la peinture cubiste, la guerre d'Espagne et Picasso. Oui, ce travail de Guttuso est magnifique qui mêle dans le supplice le Christ et les Larrons.
    Ce travail me rappelle une exposition qui s'est tenue à Paris au collège des Bernardins sur ce même thème. Là étaient réunies les variations de Gérard Titus-Carmel sur celle de Grünewald.
    Je suis heureuse que le beau poème d'aragon soit traduit en italien.
    Votre blog est d'une grande beauté. Je l'ai découvert en lisant cette somptueuse Note de lecture que vous aviez écrite à propos des carnets de marche d'angèle Paoli. Sur son blog elle a réservé plusieurs pages à l'oeuvre poétique de Gérard Titus-Carmel.
    Ainsi de blog en blog se crée une amitié paisible dont la beauté est le lien. Merci pour ces deux renseignements.
    Bonne soirée
    http://www.paris-art.com/exposition-art-contemporain/suite-grunewald/Titus-Carmel-G%C3%A9rard/5317.html

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