Translate

mardi 15 mars 2011

Sulità Santità (Solitude vaut sainteté)




"I paruli fanu purtusa."


("Les paroles font des trous.")







Un autre passage de Museo d'ombre (Musée d'ombres), de Gesualdo Bufalino, extrait du chapitre Motti e proverbi neri (Dictons et proverbes noirs) :

Isola più solitudine uguale isolitudine. A questa parola inesistente m'è spesso piaciuto ricorrere per tradurre il sentimento dell'essere siciliani. Soli nell'arsione di luglio, quando non s'ode che una cicala sfrenarsi nel letargo immobile della pianura ; e il campiere a cavallo, con lo schioppo a tracolla, che spunta dall'orizzonte, non tanto sembra uscire dalle stereotipie d'un film o d'un libro quanto precedere, vessillifero, un'orda di corpulenti fantasmi... Soli su una terra che, gira rigira, in qualunque direzione si vada, termina contro una barriera di mare ; una terra dalle budella di lava, che sussulta sopra le acque come una paranza bucata, disposta quanto mai nessun'altra ai naufragi, alle catastrofi... Soli, infine, in un letto : sognando nessuno ; sognati da nessuno... Ne verrà per la solitudine il doppio destino d'essere ora patita come uno stigma, ora vantata come uno stemma : secondo che il reietto obbedisca a un'urgenza di sodalizio e di compagnia ; ovvero, in un soprassalto d'orgoglio, si cinga dentro le quattro mura della sua tana la corona di santo e di Domineddio.

Gesualdo Bufalino Museo d'ombre Ed. Bompiani





Île plus solitude égal isolitude. À ce mot inexistant il m'a toujours plu de recourir pour évoquer le sentiment qu'ont les Siciliens de leur propre existence. Seuls dans la fournaise de juillet quand on n'entend plus que le chant obstiné d'une cigale dans la léthargie immobile de la plaine ; et le garde-champêtre à cheval, fusil en bandoulière, surgissant à l'horizon, ne semble pas tant sortir des stéréotypes d'un film ou d'un livre, mais plutôt ouvrir la route, tel un porte-étendard, à une horde de fantômes bien en chair... Seuls sur une terre qui, lorsqu'on essaie d'en faire le tour et quelle que soit la direction que l'on prenne, se termine toujours sur une barrière de mer ; une terre aux entrailles de lave, ballottée sur les eaux comme une barque trouée, plus que nulle autre promise aux naufrages et aux catastrophes... Seuls, enfin, dans un lit : ne rêvant de personne et dont personne ne rêve... Il en résultera un double destin pour la solitude : celui d'être douloureusement vécue comme un stigmate, ou au contraire fièrement arborée comme un blason, suivant que le paria obéisse à une urgente nécessité de compagnie et d'amitié, ou qu'il préfère, dans un sursaut d'orgueil, s'enfermer entre les quatre murs de sa tanière pour y ceindre l'auréole du saint et du Seigneur Tout Puissant.


(Traduction personnelle)






Images : en haut, Leonardo (Site Flickr)

au centre, Vito (Site Flickr)

en bas, Giorgio (Site Flickr)

6 commentaires:

  1. Eh oui, les paroles font des trous...elles oblitèrent l'étoffe du silence. Mieux vaut qu'elles soient dites à propos! Ou alors qu'elles soient joliment décoratives.

    Dans le proverbe biblique, les deux se rejoignent:
    "Comme des pommes d'or sur des ciselures d'argent, ainsi est une parole dite à propos."

    RépondreSupprimer
  2. Merci de ce commentaire, chère Diane ! Je crois toutefois que chez Bufalino, cette phrase a un sens plus inquiétant, plus cynique, plus noir (elle est justement placée en exergue du chapitre intitulé : "Mots et proverbes noirs"). Il s'agit ici des mots qui accompagnent en Sicile la menace, la vengeance, la douleur ; des mots qui blessent et qui perforent, juste avant (ou juste après) les balles et les lames qui vont elles aussi faire des trous dans la peau...

    RépondreSupprimer
  3. J'étais manifestement dans des rêveries éthérées! La puissance d'évocation de cette petite phrase dans son contexte est bien plus saisissante. Un cruel raccourci...

    J'ai bien fait de parler: aujourd'hui j'ai raflé un petit butin poétique! Merci à vous pour l'explication.

    RépondreSupprimer
  4. Pour vous donner un exemple de ces "paroles qui font des trous", voici cette expression sicilienne : "Ancora 'un è morta cu l'havi a chianciri" ("Elle n'est pas encore morte, celle qui devra le pleurer").

    Bufalino la commente ainsi : "Ce sont des mots comme des poignards, un exemple de supplice mental élaboré qui frappe deux fois le destinataire, aussi courageux soit-il. On lui promet la mort, et ceci est dans les règles du jeu, mais surtout on lui enfonce une deuxième épine dans le cœur : l'image d'une survivante habillée de noir, mère, épouse ou fille, qui ne fermera pas les yeux avant de les avoir fermés à un être si proche, condamnée qu'elle est à vivre jusqu'à ce jour de supplice, mais peut-être (on le suggère obscurément) pas au-delà..."

    RépondreSupprimer
  5. Un usage bien oppressant de la parole... A l'opposé, le (très beau) poème de Bufalino que vous avez publié sous le titre "Aubade" est libérateur, malgré la battaglia, le nuage, quelques éléments en apparence du côté de l'oppression. (C'est une évocation hors contexte!) La foudre qui paît dans un nuage...faut-il avoir assimilé la violence pour employer une telle image!

    RépondreSupprimer
  6. Diane : merci de vos commentaires toujours très pertinents ! Je précise que le titre "Aubade" est de Bufalino lui-même (l'original italien porte ce titre en français, peut-être en référence à l'"Aube" rimbaldienne).

    RépondreSupprimer