La grande festa (La grande fête), le dernier livre de Dacia Maraini publié en Italie est une longue méditation sur la mort ; la fête dont il est question dans le titre est surtout celle de la mémoire ou du rêve, à travers lesquels on peut encore rejoindre les personnes aimées. Dans ce lieu que l’auteur appelle «le jardin des pensées lointaines», les époques et les espaces se confondent, et les morts rejoignent miraculeusement les vivants. Dans ce passage, Dacia Maraini se souvient de Pasolini, dont elle a été l’amie et la collaboratrice pour plusieurs de ses films. Elle évoque d'abord ses visites à la mère de Pasolini, murée dans son refus d’accepter la mort de son fils : «J’allais la voir dans sa maison de l’Eur et dès qu’elle me voyait, elle me disait : "Viens, je te prépare un café. Pier Paolo est dans le jardin, je vais l’appeler. Assieds-toi, raconte-moi ce que tu fais". Pier Paolo était mort depuis des mois.» :
Uno dei tanti cari morti nel giardino dei pensieri
lontani. Lo immagino lì, sempre in movimento, come quando viaggiava con noi. Una
maglietta bianca su un paio di pantaloncini azzurri. I capelli tagliati corti,
gli occhiali dalle lenti squadrate. Corre ancora oggi, corre leggero e
divertito, in mezzo a un gruppo di ragazzi, tirando col piede lieve un pallone
sporco e mezzo sgonfio. Pier Paolo, sei lì dove ti vedo ? mi verrebbe di
chiedergli. E lo osservo mentre, sorpreso, alza la testa rubando alcuni secondi
alla propria attenzione di calciatore in mezzo al campo. Si porta una mano
davanti agli occhi accecati dal sole africano e mi guarda. Questa volta non
parla, come ha fatto tante volte nei miei sogni dove mi appariva pronto a
ricominciare, rimproverando i suoi tecnici perché non lo prendevano sul serio.
«Dacia, digli che è morto, non può girare un film.» E lui, scrollando le spalle
«Stupidi, io sono qua pronto a ricominciare, anche se questa morte mi ha fatto
dimagrire di dieci chili. Ma ora basta chiacchiere, torniamo al lavoro !»
Lo
vedo di lontano. È talmente intento a giocare che anche solo fermarsi pochi
secondi lo disturba. Solleva leggermente una mano sottile come per dire : sì,
lo so che sei là, che mi guardi. Non mi perdere di vista. E subito riprende a
correre, le gambe robuste dai muscoli in rilievo, le leggere scarpette con i
tacchetti, i calzettoni rossi, i pantaloncini blu e la canottiera bianca. Si
muove come un capriolo inseguito, zampetta e corre a zig zag. È agilissimo e
spumoso, saltellante e delicato, i muscoli che si indovinano di acciaio, tesi
nello sforzo, la bella faccia scavata, gli occhi intenti, dolci, sognanti. Mi
guardi ancora una volta, Pier Paolo ? Mi piace quando ti metti la mano sulla
fronte, contro il sole e mi fai un cenno con la testa come a dire : ciao !
Dacia Maraini La grande festa Ed. Rizzoli, 2011
Dacia Maraini La grande festa Ed. Rizzoli, 2011
Un
de ces nombreux morts qui nous sont si chers, dans le jardin des pensées
lointaines. Je l’imagine là, toujours en mouvement, comme quand il voyageait avec nous. Un débardeur blanc sur une paire de shorts bleus. Les cheveux coupés
courts, les lunettes aux verres carrés. Aujourd’hui encore, il court, léger et
amusé, parmi un groupe de garçons, tapant d’un pied léger dans un ballon sale
et à moitié dégonflé. J’aurais envie de lui demander : Pier Paolo, est-ce
que tu es bien là ? Et je l’observe tandis qu’il lève la tête, surpris,
relâchant pendant quelques secondes son attention de joueur de football en
plein milieu de la partie. Il met la main devant ses yeux aveuglés par le soleil africain et il me regarde. Cette fois-ci, il se tait, comme il l’a fait
tant de fois dans mes rêves où il m’apparaissait prêt à tout recommencer, en
reprochant à ses techniciens de ne pas le prendre au sérieux. «Dacia, dis-lui
qu’il est mort, il ne peut plus tourner de films !» Et lui, haussant les
épaules : «Imbéciles, je suis bien là, prêt à recommencer, même si cette
mort m’a fait perdre dix kilos. Mais assez bavardé, retournons au
travail !».
Je le vois de loin. Il est si absorbé par le jeu qu’il est
incapable de s’arrêter, ne serait-ce que quelques secondes. Il esquisse un
petit mouvement de la main, comme pour dire : oui, je sais que tu es là,
que tu me regardes. Ne me perds pas de vue ! Et il se remet aussitôt à
courir, les jambes robustes aux muscles saillants, les souliers légers à petits talons, les chaussettes rouges, le short bleu et le débardeur blanc.
Il se déplace comme un chevreuil traqué, trottinant et courant en zigzag. Il
est très agile et léger, sautillant et délicat, avec des muscles que l’on
devine d’acier, tendus dans l’effort, son beau visage émacié, les yeux attentifs, doux et rêveurs. Tu me regardes encore, Pier Paolo ? J’aime quand
tu places ta main sur ton front, face au soleil, et ce signe de la tête que tu
m’adresses, comme pour dire : «Salut !».
(Traduction personnelle)
(Traduction personnelle)
"Mo' sto bene..." ("Maintenant, je suis bien...")
Ce signe de croix avec les deux mains prisonnières, un vrai et beau symbole.
RépondreSupprimerQuand reverrons-nous de vrais films avec de véritables contenus. Quand cesserons enfin ces insignifiances mouvementées d'aujourd'hui?
Bertolucci a été l'assistant de Pasolini sur le tournage d'"Accatone", et il disait que chaque jour, il avait l'impression d'assister à la naissance du cinéma. On était bien loin de "The Artist", c'est sûr...
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