"Questi non hanno speranza di morte,
e la lor cieca vita è tanto bassa,
che 'nvidiosi son d'ogni altra sorte.
Fama di loro il mondo esser non lassa ;
misericordia e giustizia li sdegna :
non ragioniam di lor, ma guarda e passa."
Inferno, III, 46-51
"Ceux-ci n'ont aucun espoir de mourir,
"Ceux-ci n'ont aucun espoir de mourir,
et leur vie de misère est si basse
qu'ils sont jaloux de tout autre sort.
Le monde ne garde d'eux aucun souvenir ;
la miséricorde et la justice les dédaignent :
ne parlons pas d'eux, mais regarde et passe !"
Enfer, III, 46-51
On se souvient peut-être de ce rapport commandé par la Halde
(Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité) où, dans le cadre de la lutte contre les stéréotypes dans les
manuels scolaires, on s'interrogeait sur la pertinence de l'étude en classe de certains poèmes de Ronsard, en particulier
Mignonne, allons voir si la rose, qui véhiculerait «une image somme toute très
négative des seniors» (page 181 du rapport). Hé bien, il n’y a pas qu’en France que sévissent ces
manifestations caricaturales du "politiquement correct", relevant d’une conception strictement idéologique
de la culture, fondée sur des anachronismes et des contre-sens. En effet, en Italie, une association intitulée Gherush 92, composée
de chercheurs-consultants de l’ONU, demande purement et simplement que l'on supprime l'étude de la Divine Comédie dans les programmes des établissements
scolaires italiens ! Je reprends ici les principaux griefs faits à Dante
et à son poème par cette association ; tous les passages entre guillemets sont une traduction littérale du texte de leur communiqué, que l'on peut lire ici en italien.
Dante antisémite
C'est tout particulièrement ici
le chant XXXIV de l’Enfer qui est visé. On y voit en effet apparaître le
personnage de Judas, «figure du fourbe et du traître, et source de
l’antisémitisme chrétien ; en étudiant la Divine Comédie, les jeunes sont
donc amenés à apprécier une œuvre qui calomnie le peuple juif ; ils
apprennent ainsi à justifier un message de condamnation antisémite, tel qu’il
peut aujourd’hui encore se retrouver dans les sermons et les homélies, et qui a
été la source de tant de souffrances et de deuils pour le peuple juif.
On peut également considérer que les vers 73-81 du chant V du Paradis constituent une anticipation des lois raciales du régime fasciste, et même du Protocole des Sages de Sion, célèbre libelle antisémite, qui traita du "péril juif", et entraîna les persécutions des Juifs en Russie et dans l'Europe entière.»
On peut également considérer que les vers 73-81 du chant V du Paradis constituent une anticipation des lois raciales du régime fasciste, et même du Protocole des Sages de Sion, célèbre libelle antisémite, qui traita du "péril juif", et entraîna les persécutions des Juifs en Russie et dans l'Europe entière.»
(Afin que l'on puisse juger de la pertinence des affirmations faites dans le paragraphe précédent, je cite ici les vers incriminés, dans la traduction de Jacqueline Risset :
«Soyez, chrétiens, plus lents à vous mouvoir ;
Ne soyez pas comme plume à tout vent,
et ne croyez pas que toute eau vous lave.
Vous avez le nouveau et l'ancien Testament,
L’Église et son pasteur qui vous conduit ;
que cela suffise à votre salvation.
Si la cupidité vous crie autre chose,
soyez hommes et non folles brebis,
afin que le Juif, parmi vous, ne rie de vous !»)
Dante
islamophobe
Sur ce point, c’est le chant XXVIII de l’Enfer qui pose
problème : «Dante y décrit les terribles peines qui affligent les
fauteurs de discorde ; parmi ces derniers se trouve Mahomet, représenté
comme un schismatique, l’Islam devenant une hérésie. Un châtiment affreux est
réservé au Prophète : son corps est coupé en deux du menton au derrière,
et ses boyaux pendent entre ses jambes, image insultante pour la culture
islamique. De plus, l’offense apparaît comme encore plus évidente lorsque le
corps martyrisé de Mahomet est comparé à un tonneau percé, récipient qui en
général contient du vin, boisson interdite par la civilisation islamique. Dans
la description de Mahomet sont utilisés des termes vulgaires et des images
effroyables, à tel point que, dans la traduction arabe du poème, le philologue
Hassan Osman a jugé bon d’occulter ces vers, considérés comme une offense.»
Dante homophobe
Dans le chant XV de l’Enfer sont punis tous ceux qui ont été
violents contre la Nature ; parmi ceux-là, les Sodomites sont les plus
nombreux ; ils sont condamnés à courir sans répit sous une pluie de feu.
«Nous n’appelons nullement à la censure ou aux autodafés, mais nous voudrions simplement que l’on reconnaisse clairement que
dans la Divine Comédie se trouvent des passages homophobes. L’art est une
question de forme et de contenu, et même si l’on peut admettre que dans le
poème de Dante existent différents niveaux d’interprétation, symbolique, métaphorique
ou esthétique, il n’en reste pas moins que le texte de l’œuvre contribue à
répandre et à justifier de fausses accusations, sources au cours des siècles de
préjugés qui ont coûté la vie à plusieurs millions de
personnes.»
Dante raciste
«Aujourd’hui, le racisme
est un crime et il existe des lois et des conventions internationales qui
protègent la diversité culturelle et préservent des discriminations et de la
violence fondés sur des motifs raciaux, ethniques ou religieux. Il faut bien sûr se
référer à ces principes et à ces lois : il est donc de notre devoir de
signaler aux autorités compétentes, y compris judiciaires, que
plusieurs passages de l’œuvre de Dante peuvent être considérés comme racistes
et offensants. Nous réclamons donc la suppression de la Divine Comédie dans les programmes
scolaires officiels, ou au moins son accompagnement par de nécessaires commentaires
et explications.»
Images : en haut, Gustave Doré Dante et Virgile dans le neuvième Cercle de l'Enfer, 1861
en bas, Gustave Doré, illustration pour le chant XXX du Paradis
Il faudrait presque trouver une autre expression (une expression plus forte encore !) que "marcher sur la tête", tant sont consternants les extraits que vous traduisez. En France, bientôt peut-être, verra-t-on un "collectif" réclamer l'interdiction de certains poèmes de Baudelaire, non plus ceux du procès de 1857, mais ceux où il est question de... et de... [je censure !] D'un autre point de vue, si Dante est effectivement interdit de lecture en Italie, il faut peut-être d'abord craindre que si l'éducation nationale, là-bas, est dans le même état que celle de la France, aucun écolier n'est plus en mesure de lire Dante, déjà... Ces mesures, si elles étaient appliquées, ne feraient que s'ajouter à l'illisible conditionné... Merci d'avoir signalé ce rapport. Bien à vous.
RépondreSupprimer(... que CELUI de la France, voulais-je dire, pardonnez-moi !)
RépondreSupprimerMerci de votre commentaire, cher Frédéric Tison ! Je partage votre point de vue, et en ce qui concerne la comparaison entre l'éducation nationale en France et en Italie (où on l'appelle "Instruction publique"), j'ai bien peur qu'elle soit tout de même en faveur de la France, c'est vous dire l'ampleur du désastre...
SupprimerQuelle beauté ces trois livres, quelle attitude lamentable et dangereuse pour la culture que celle de ces censeurs !
RépondreSupprimerAlors pour aller au-delà de la bêtise humaine, replongeons dans cette magnifique poésie :
"Qual è'l géometra che tutto s'affige (...)/l'amor che move il sole e l'altre stelle."
et traduit par Jacqueline Risset :
"Tel est le géomètre attaché tout entier
à mesurer le cercle, et qui ne peut trouver
en pensant, le principe qui manque,
tel j'étais moi-même à cette vue nouvelle :
je voulais voir comment se joint
l'image au cercle, comment elle s'y noue ;
mais pour ce vol mon aile était trop faible :
sinon qu'alors mon esprit fut frappé
par un éclair qui vint à son désir.
Ici la haute fantaisie perdit sa puissance ;
mais déjà il tournait mon désir et vouloir
tout comme roue également poussée,
l'amour qui meut le soleil et les autres étoiles."
(133-145, Paradiso XXXIII)