Franco Battiato chante Inneres Auge, paroles de F. Battiato et Manlio Sgalambro, musique de F. Battiato (2009) :
Come un branco di lupi che scende dagli altipiani ululando
o uno sciame di api accanite divoratrici di petali odoranti
precipitano roteando come massi da altissimi monti in rovina.
Uno dice che male cè a organizzare feste private
con delle belle ragazze per allietare primari
e servitori dello stato ?
Non ci siamo capiti e perché mai dovremmo pagare
anche gli extra a dei rincoglioniti ?
Che cosa possono le leggi dove regna soltanto il denaro ?
La giustizia non è altro che una pubblica merce...
Di cosa vivrebbero ciarlatani e truffatori
se non avessero moneta sonante
da gettare come ami fra la gente.
La linea orizzontale ci spinge verso la materia,
quella verticale verso lo spirito.
Con le palpebre chiuse
s'intravede un chiarore che con il tempo
e ci vuole pazienza,
si apre allo sguardo interiore :
inneres auge, das innere auge.
La linea orizzontale ci spinge verso la materia,
quella verticale verso lo spirito.
Ma quando ritorno in me, sulla mia via,
a leggere e studiare, ascoltando i grandi del passato...
mi basta una sonata di Corelli, perché mi meravigli del creato !
Comme une bande de loups qui descend des hauts plateaux en hurlant à la mort
ou un essaim d'abeilles furieuses dévorant des pétales parfumés
qui dévalent en roulant comme des rochers depuis de hautes montagnes qui s'écroulent.
Quelqu'un dit : "Quel mal y a-t-il à organiser des fêtes privées
avec de jolies filles pour divertir l'élite
et les grands serviteurs de l'état ?"
On ne s'est pas compris, et pourquoi donc devrions-nous payer les extras de ces pauvres crétins ?
Que peuvent les lois là où seul l'argent est roi ?
La justice n'est rien d'autre qu'une marchandise qui se vend...
De quoi vivraient les charlatans et les escrocs
s'ils n'avaient plus d'argent sonnant et trébuchant
à jeter aux gens comme des hameçons.
La ligne horizontale nous pousse vers la matière,
la ligne verticale vers l'esprit : inneres auge, das inneres auge.
En fermant les paupières, on entrevoit une clarté qui progressivement, si l'on fait preuve de patience,
nous ouvre au regard intérieur :
inneres auge, das inneres auge.
La ligne horizontale nous pousse vers la matière,
la ligne verticale vers l'esprit.
Mais quand je retourne en moi, sur ma route,
quand je lis et quand j'étudie, à l'écoute des grandes voix du passé...
il me suffit d'une sonate de Corelli pour que je m'émerveille de la Création.
(Traduction personnelle)
Images : La Grande Bellezza, de Paolo Sorrentino (2013)
30 janvier [1990] — Le jour baissait, les portes du Luxembourg étaient fermées. Restaient les jardins de l'Observatoire. J'avais travaillé toute la journée et je voulais marcher un peu. C'est une certaine lumière de Paris qui dès mon plus jeune âge me rendit amoureux de ma ville natale, surtout dans les derniers rayons du jour métamorphosant les rues les plus tristes. Je pensais à ces choses en foulant les allées sableuses. Le long de la grande avenue, les immeubles modernes se dépouillaient de leur imposante banalité ; seule gardait son mystère la masse crénelée de l'école rouge des langues orientales. Le crépuscule vert semblait sourdre de partout, des jardins, des maisons comme du ciel. Dans cette sorte de pénombre, même les promeneurs paraissaient immobiles, nous marchions en silence et, tout à coup, au bout des deux rangées d'arbres dépouillés, tout au bout, m'attend le prodige qui ensorcelait mon enfance, la furieuse galopade des huit chevaux vert-de-gris, se ruant à fond dans le silence avec une telle fureur que chaque fois le jeune garçon reculait d'un pas, pris d'une ensorcelante frayeur. Depuis ce temps-là, ils éclaboussent d'eau invisible la fin des crépuscules ; bientôt ils sont seuls à luire et à continuer de se cabrer derrière nous dans l'ombre et dans mon souvenir. Des étudiants sautent par-dessus les grilles des jardins qu'un homme en uniforme désuet ferme avec de gros cadenas, comme si les arbres voulaient s'échapper avec tous ces jeunes.
Loin devant nous et tout autour de nous, dans le soir, des fenêtres s'allument çà et là, d'or soufré ; c'est Paris, le Paris de ma vie presque tout entière, celui que j'appelais dans mes rêves de jeunesse mon Paris, avec ses innombrables secrets, les éternelles exigences de la chair et de l'âme.
Julien GreenL'Expatrié, Journal 1984-1990 Editions du Seuil, 1990
Un poème de Gabriel Ferrater, poète catalan né en 1922 et mort à Barcelone en 2003. Il est extrait du recueil Menja't una cama, paru en 1961.
EL DISTRET
Segur que avui hi havia nùvols,
i no he mirat enlaire. Tot el dia
que veig cares i pedres i les soques dels arbres,
i les portes per on surten les cares i tornen a entrar.
Mirava de prop, no m’aixecava de terra.
Ara se m’ha fet fosc, i no he vist els nùvols.
Que demà me’n ricordi. L’altre dia
vaig mirar enlaire, i ennllà de la barana
d’un terrat, una noia que s’havia
rentat el cap, amb una tovallola
damunt les espatlles, s’anava passant,
una vegada i deu i vint, la pinta pels cabells.
Els braços em van semblar branques d’un arbre molt alt.
Eren les quatre de la tarda, i feia vent.
Gabriel Ferrater
LE DISTRAIT
Certainement qu'aujourd'hui il y avait des nuages mais je n'ai pas regardé en l'air. Tout le jour je n'ai vu que des visages et des pierres et des troncs d'arbres, et des portes à travers lesquelles des visages entrent et sortent. Je regardais de près, toujours au niveau de la terre. Et maintenant tout est sombre et je n'ai pas vu les nuages. Il faut que demain je m'en souvienne. L'autre jour j'ai regardé en l'air, et par-delà la balustrade d'une terrasse, une jeune fille qui s'était lavée la tête, avec une serviette sur les épaules, se passait une, dix, vingt fois le peigne dans les cheveux. Ses bras ressemblaient aux branches d'un arbre très haut. Il était quatre heures de l'après-midi et il y avait du vent.
Traduction personnelle
IL DISTRATTO
Certamente oggi c’erano nuvole,
ma non ho guardato in alto.
È tutto il giorno
che vedo volti e pietre e tronchi d’albero,
e porte attraverso cui volti entrano ed escono.
Guardavo da vicino, non mi alzavo da terra.
Ora m’è venuto buio e non ho visto le nuvole.
Bisogna che domani me ne ricordi. L’altro giorno
ho guardato in alto, e oltre la ringhiera
di un terrazzo, una ragazza che s’era
lavata la testa, con un asciugamano
sulle spalle, si passava
una, dieci, venti volte, il pettine fra i capelli.
Le sue braccia assomigliavano ai rami di un albero molto alto.
Erano le quattro del pomeriggio, e c’era vento.
Traduzione : Pietro U. Dini
Images : en haut, Domenico GhirlandaioAdoration des bergers, 1485 (détail)
au centre, Piero della FrancescaLégende de la Vraie Croix (détail), Arezzo, 1452-1466
en bas, Agnolo BronzinoPortrait de jeune homme, c. 1531, Uffizi, Firenze
Je reviens ici sur l’œuvre du peintre sarde Brancaleone Cugusi da Romana, oubliée pendant plus de soixante ans et redécouverte au début de ce siècle, principalement grâce au critique d’art Vittorio Sgarbi, qui lui consacra en 2004 une grande exposition en Sardaigne, et une importante monographie. Je reprends ici quelques extraits de la préface de cet ouvrage (Brancaleone da Romana, Skira, 2004) : «Regardons-les, ces œuvres : on y voit surtout des hommes, sujet favori de Cugusi, la plupart du temps jeunes, voire très jeunes, de bel aspect, représentés dans un décor toujours semblable, dépouillé et peu attrayant, avec parfois un siège ou une table que l’on a déplacés à l’autre bout de la salle, mais que le peintre veut absolument reproduire sur sa toile. Ces hommes et ces garçons annoncent-ils déjà ceux que l’on découvrira peu de temps après dans quelques uns des plus grands chefs d’œuvre du cinéma néo-réaliste (Ossessione, Rome ville ouverte, Sciuscià, Le voleur de bicyclette) ? Ce sont plutôt les acteurs d’une pièce qui veut représenter autre chose.»
Sgarbi s’interroge un peu plus loin sur l’usage de la photographie dans l’œuvre de Brancaleone : «Dans le cas des photographies qu’il utilise pour fixer les poses de ses modèles, Cugusi s’est aperçu qu’elles captent la lumière de façon plus intense que n’aurait pu le faire l’œil humain ; c’est une lumière caravagesque, qui révèle et fouille le modelé, agissant sur lui comme s’il s’agissait d’une matière tangible. Au fond, Caravage a été le premier photographe de l’histoire de la peinture, quand la photographie n’existait pas encore. Et puis elle est arrivée, pour confirmer les intuitions de Caravage.»
Cet usage si particulier de la photographie s’allie chez Brancaleone à celui du reticolo, une sorte de grille qui lui permet de retrouver sur sa toile les proportions exactes de la photographie (Brancaleone s’inspire ici de la technique d’Antonio Mancini, un peintre de l’école vériste romaine). La grille était d’abord reproduite directement sur la photographie puis «copiée» sur la toile ; par la suite, elle sera directement posée sur la toile et retirée à la fin de l’exécution du tableau ; les traces des fils étaient dans un premier temps effacées par le peintre, elles furent ensuite volontairement laissées en évidence. Sgarbi note à ce propos : «C’est l’expédient révélé, de façon pleinement assumée par l’artiste, c’est la peinture comme technique et la technique comme métier qui s’offrent à l’observateur pour ce qu’elles sont, sans artifices et sans tricheries, en s’affirmant non pas comme une image, une marque de valeurs artistiques particulières ou une vision lyrique du monde, mais comme un métier. C’est comme si un ébéniste montrait volontairement les marques laissées par ses outils sur le bois, plutôt que de les dissimuler dans les élégantes arabesques d’une marqueterie, cherchant ainsi à mettre en évidence, au-delà de la beauté du meuble, le savoir et l’habileté artisanale qui ont permis de le réaliser. Plus qu'il ne représente des jeunes garçons boudeurs qui jouent à être des adultes, Cugusi se représente lui-même dans la mesure où il traduit ce fait de réalité en art, transformant son atelier et son propre métier en une maison de verre mise à la disposition de tous.»
Les commentaires de Sgarbi sont toujours très éclairants, mais on a du mal à le suivre sur ce point. Il y a tout de même beaucoup de mystère dans la personnalité de Brancaleone, et dans ces tableaux aux titres si mélancoliques et évocateurs (Pensieri tristi, Giovane vinto dalla vita, Ragazzo convalescente, Giovane assorto...). Il est d’autre part très frappant que l’exhaustive biographie (Brancaleone, mio zio, Ed. Tema, 2010) que lui a consacrée son neveu, Francesco Leone Cugusi (le fils de Guglielmo, l’un des frères du peintre) ne dise pas un mot de la vie sentimentale de Brancaleone, malgré le sous-titre de l’ouvrage, qui deviendrait pour le coup presque ironique : La vie privée de Brancaleone Cugusi da Romana. Certes, le biographe s’interroge sur le grand nombre de modèles masculins dans les toiles de son oncle, mais son explication est plutôt expéditive : il note simplement que les vêtements féminins sont particulièrement complexes à représenter pour un peintre obsédé par la recherche de la vérité en peinture, raison pour laquelle il privilégie les modèles masculins dans ses tableaux, alors qu’il y a beaucoup plus de présences féminines dans ses dessins... On peut également voir dans l’ouvrage le seul nu de toute l’œuvre de Brancaleone ; il n'en existe plus aujourd’hui qu’une photographie en noir et blanc, l’œuvre ayant été détruite par l’artiste. Le tableau, de très grande taille, très suggestif et très beau, autant que l’on puisse en juger par une simple photographie, est intitulé Nudo dormiente (Nu endormi) et s’inspire de la sculpture romaine de l’Hermaphrodite endormi que l’on peut voir au musée du Louvre. Dans une lettre adressée à son frère Guglielmo (qui fut avec son épouse Cesira et la sœur de cette dernière, Alda, une sorte de mécène, adressant régulièrement à Brancaleone pendant plusieurs années diverses sommes d’argent pour lui permettre de mener à bien son travail de peintre), il parle avec beaucoup de précautions de ce tableau si particulier : «Je ne vous en envoie pas la photographie, parce que le tableau terminé est plus scabreux que je ne l’aurais voulu (en raison de la pose du modèle). Si on le voit parmi d’autres, dans une exposition par exemple, il perd son côté impudique, mais après l’avoir photographié, je me suis aperçu qu’il n’était pas très convenable de vous le montrer de façon isolée.» (lettre du 29 novembre 1936). Finalement, Brancaleone choisira de détruire ce tableau, comme il demandera quelques années plus tard à son modèle favori, Tonuccio Addis, le Jeune homme à l’imperméable, de détruire les lettres qu’il lui envoie.
On peut aussi se demander s’il n’y a pas dans la technique du reticolo (la fameuse grille) interposé entre le modèle et le peintre une volonté de mise à distance, d’éloignement, un noli me tangere dont les traces laissées sur la toile achevée sont aussi l’étrange témoignage. Cet aspect troublant de l’œuvre et de la personnalité de Brancaleone n’a d’ailleurs pas échappé à Vittorio Sgarbi, qui a choisi trois tableaux du peintre sarde (Pensieri tristi, Giovane assorto, Giovane seduto) pour figurer dans l’exposition Art et homosexualité, de von Gloeden à Pierre et Gilles, prévue à Milan en septembre 2007, et qui se tiendra finalement à Florence deux mois plus tard, en raison du veto du maire de Milan (à l’époque la très prude Letizia Moratti). Dans cette exposition, à côté d’œuvres beaucoup plus explicites et provocatrices, les trois grands tableaux de Brancaleone tranchaient par leur pouvoir évocateur, leur grande force suggestive derrière une apparente sagesse. Voici ce qu’en disait Sgarbi dans le catalogue de l’exposition : «Les tableaux de Brancaleone retenus pour cette exposition sont des chefs d’œuvre de littérature en peinture, expression de troubles, de pensées secrètes, d’inclinations refoulées auxquelles le peintre donne une forme de façon presque inconsciente. Sans aucune ambiguïté morbide, Brancaleone perçoit et révèle par ses modèles un double aspect, déjà présent chez Caravage : virilité affichée, homosexualité dissimulée.» (soit dit en passant, on ne voit pas trop pourquoi les deux aspects (la virilité et l’homosexualité) seraient nécessairement antithétiques, sinon dans la vision ici bien manichéenne de Sgarbi...).
Que veulent-ils donc nous dire, ces jeunes hommes songeurs, dont certains nous fixent tandis que d'autres détournent le regard, absorbés dans leurs pensées tristes, leur inguérissable mélancolie ? Ils ont aussi parfois une expression de défi, comme s’ils voulaient signifier à la vie qu’ils n’étaient pas dupes de ses fallacieuses promesses. Ils sont là, pour toujours, dans ces grands tableaux et ce miraculeux clair-obscur, et nous n’en aurons jamais fini de percer leur mystère.
Perché questo pianto improvviso nel chiaro mattino ? Mi son seduto ai piedi della Garisenda a fumar la mia pipa. Son entrato in San Bartolomeo per rivedere il bell'Angelo dell'Albani di cui mi parlava fanciullo mia madre. Profumo d'incenso, ombre dorate, figure curve. Poi ho cercato un angolo morto per piangere in pace, una quercia, un angiporto, un vicolo scuro. Perché questo pianto dirotto nel chiaro mattino ? Filippo De PisisPoesie, Garzanti ed.
Matin d'été à Bologne Pourquoi ces larmes soudaines dans le matin clair ? Je me suis assis au pied de la Garisenda pour y fumer ma pipe. Je suis entré à San Bartolomeo pour revoir le bel Ange de l'Albane dont me parlait ma mère lorsque j'étais enfant. Odeur d'encens, ombres dorées, silhouettes voûtées. Puis j'ai cherché un endroit retiré pour pleurer en paix, un chêne, une impasse, une ruelle sombre. Mais pourquoi ces torrents de larmes dans le matin clair ? (Traduction personnelle)
Images : en haut, Francesco Albani (1578-1660) Annunciazione
en bas, Site Flickr
Les hasards d'une recherche m'ont conduit vers ce poème de Giosuè Carducci extrait des Odes barbareset dédié à la mémoire du fils unique de Napoléon III et d'Eugénie de Montijo, Napoléon Eugène, dit Louis-Napoléon, tué à vingt-trois ans, le premier juin 1879, en combattant sous l'uniforme rouge des Britanniques contre les Zoulous sur les côtes océaniques de l'Afrique australe. C'est une belle figure que celle de ce "petit prince" exilé, courageux et attachant, qui ne connaîtra jamais la gloire à laquelle il était promis sous le nom de Napoléon IV. Le poème s'ouvre sur l'évocation de la "sagaie barbare" qui lui fut fatale avant de s'attarder dans un souffle hugolien sur le destin funeste des Bonaparte, symbolisé par l'invocation de l'ombre dolente de la mère de l'Empereur, Letizia, "Niobé corse" recluse dans sa maison d'Ajaccio. On remarquera au passage que Carducci ne s'embarrasse guère de la vérité historique, puisque Letizia est morte en 1836 (à Rome, et pas à Ajaccio !), c'est-à-dire vingt ans avant la naissance de cet arrière-petit-fils qu'elle n'a jamais connue... Il n'est pas non plus très attaché à la vérité géographique si l'on en juge par la description qu'il fait de la maison natale de l'Empereur, bien loin de ce qu'elle est dans la réalité ! Mais tout cela n'a que peu d'importance puisqu'il reste un fort beau poème, d'une puissance lyrique impressionnante (et fort difficile à traduire, j'ai essayé ici de faire de mon mieux !).
PER LA MORTE DI NAPOLEONE EUGENIO
Questo la inconscia zagaglia barbara
prostrò, spegnendo li occhi di fulgida
vita sorrisi da i fantasmi
fluttuanti ne l'azzurro immenso.
L'altro, di baci sazio in austriache
piume e sognante su l'albe gelide
le dïane e il rullo pugnace,
piegò come pallido giacinto.
Ambo a le madri lungi ; e le morbide
chiome fiorenti di puerizia
pareano aspettare anche il solco
de la materna carezza. In vece
balzâr nel buio, giovinette anime,
senza conforti ; né de la patria
l'eloquio seguivali al passo
co' i suon de l'amore e de la gloria.
Non questo, o fósco figlio d'Ortensia,
non questo avevi promesso al parvolo :
gli pregasti in faccia a Parigi
lontani i fati del re di Roma.
Vittoria e pace da Sebastopoli
sopían co 'l rombo de l'ali candide
il piccolo : Europa ammirava :
la Colonna splendea come un faro.
Ma di decembre, ma di brumaio
cruento è il fango, la nebbia è perfida :
non crescono arbusti a quell'aure,
o dan frutti di cenere e tòsco.
Oh solitaria casa d'Aiaccio,
cui verdi e grandi le querce ombreggiano
e i poggi coronan sereni
e davanti le risuona il mare !
Ivi Letizia, bel nome italico
che omai sventura suona ne i secoli,
fu sposa, fu madre felice,
ahi troppo breve stagione ! ed ivi,
lanciata a i troni l'ultima folgore,
date concordi leggi tra i popoli,
dovevi, o consol, ritrarti
fra il mare e Dio cui tu credevi.
Domestica ombra Letizia or abita
la vuota casa ; non lei di Cesare
il raggio precinse : la còrsa
madre visse fra le tombe e l'are.
Il suo fatale da gli occhi d'aquila,
le figlie come l'aurora splendide,
frementi speranze i nepoti,
tutti giacquer, tutti a lei lontano.
Sta ne la notte la còrsa Niobe,
sta su la porta donde al battesimo
le uscíano i figli, e le braccia
fiera tende su 'l selvaggio mare :
e chiama, chiama, se da l'Americhe,
se di Britannia, se da l'arsa Africa
alcun di sua tragica prole
spinto da morte le approdi in seno.
Giosuè CarducciOdi barbare, 1877
POUR LA MORT DE NAPOLÉON EUGÈNE Celui-ci, l'inconsciente sagaie barbare
et elle appelle, elle appelle, pour que des Amériques,
de la Grande-Bretagne, ou de la brûlante Afrique
quelqu'un de sa race tragique,
poussé par la mort, aborde sur son cœur.
(Traduction personnelle)
« Quelques semaines plus tard, sept des trente Zoulous qui ont participé à cette attaque sont faits prisonniers par les Anglais. Ce sont eux qui ont raconté les derniers moments du Prince Impérial. De sa main restée valide, la gauche, il a réussi à sortir son revolver et, sans chercher un instant à fuir, il a marché lentement à l'ennemi. Les Zoulous ont été étonnés d'une telle bravoure. De la main gauche, donc, il tire trois coups de revolver. Est-ce sa main qui tremble, ou plutôt l'agilité des Zoulous, prompts à faire un bond de côté, mais il rate les trois coups. Il trouve encore la force de saisir au vol une sagaie et de la retourner contre ses assaillants, mais, en se défendant, il ne voit pas un trou, trébuche, et reçoit une sagaie au côté gauche. Alors, il tombe et c'est la curée : dix-sept blessures, toutes de face.
Louis meurt, abandonné par ses camarades, seul avec son rêve, le grand rêve napoléonien, qui l'a enchanté depuis l'enfance. Et, tandis que son père a vainement cherché la mort sur le champ de bataille de Sedan, il sera le seul des Bonaparte à être tué à l'ennemi. Les Zoulous dépouillent son corps et se partagent ses vêtements : pantalon, dolman, le gilet en peau de renne, le casque et le sabre. Ils abandonnent les bottes à quelques mètres de là : trop petites pour leur servir, ils les jettent, encore garnies de leurs éperons. Et le cadavre demeure nu sur le sol, dans le grand silence, bientôt sous la nuit étoilée. »
(extrait de Napoléon IV, d'Alain Frerejean, éditions Albin Michel, très bonne biographie parue en 1997)
Images : en bas, (1) dessin de P. Jamin, musée de Versailles
en bas, (2) Le Prince Impérial et son chien Nero, marbre de J.-B. Carpeaux, musée d'Orsay, Paris