On peut voir actuellement au Musée d'Art et d' Histoire de Cholet, jusqu'au 22 février, l'exposition de Jean-Paul Marcheschi intitulée Mathématique du feu, 11 000 Portraits de l'humanité. Je cite ici le texte de présentation de cette très belle exposition et un passage du texte de Philippe Piguet Jean-Paul Marcheschi, éloge du nombre, qui se trouve dans le catalogue de l'exposition :
« Théoricien de l'art, peintre, sculpteur et scénographe d'origine corse, Jean-Paul Marcheschi revient ici sur le thème du visage dont il tente de restituer à la fois l'extrême singularité tout en en soulignant la part impersonnelle, collective, voire anonyme. À l'aide de son pinceau de feu, il tente de saisir ce qui est propre à chacun de nous et ce qui témoigne, en même temps, de notre appartenance à une même espèce.
Nous n'aurons pas, au cours de l'existence, un seul visage et, de la naissance jusqu'au très grand âge, le corps se verra contraint à d'innombrables métamorphoses. Nul ne peut lutter contre Chronos, ce dieu du temps qui nous gouverne et nous dévore pour nous rendre finalement à l'humus.
Portraits d'inconnus, de proches, portraits de la mère, du père, de la fratrie, autoportraits : ce qu'ici le visage affirme, c'est qu'il est unique, qu'il n'est personne, qu'il est cent mille.
Que sont ces 11 000 Portraits de l'humanité ? Quel art, mieux que la peinture, a su au cours des siècles approcher cette énigme et nous permettre d'en comprendre et d'en adoucir le tragique ? »
« Face au portrait de Camille sur son lit de mort que Monet a peint en 1879 de son épouse tout juste décédée, Jean-Paul Marcheschi s'est longtemps interrogé sur ce qui avait bien pu conduire le peintre a prendre ses pinceaux. Et si le visage était le lieu par excellence de la peinture ? Le visage, ou la mort, sinon la question du masque ? Songeons aux portraits du Fayoum. Songeons à Rembrandt, à Van Gogh. Songeons à cet incroyable autoportrait de Picasso, datant de 1972, juste un an avant sa mort. À ce genre justement, l'artiste a choisi de consacrer un nouvel ensemble, les Onze mille Portraits de l'humanité. Un nouveau défi, un nouvel enjeu — l'occasion d'aller à l'autre. Marcheschi précise que voilà déjà plusieurs années, il avait eu ce projet mais que celui des Onze mille Nuits l'avait absorbé et que son retour tient à ce que quelqu'un lui commande un jour son portrait. L'artiste ne cache pas l'émotion ressentie face à la situation, d'autant qu'il n'avait pas rencontré le commanditaire et qu'il s'était trouvé face à un lot de photographies, à partir desquelles il a travaillé. Une fois de plus, le peintre s'est pris au jeu et il en a fait toute une série.
"Il y a quelque chose dans le visage — dit-il — d'un frayage vers autre chose. Quelque chose d'unique, et il faut veiller à ce que ni le peintre, ni la peinture n'y mettent trop leur grain de sel." Le passage est donc infime et l'exercice périlleux car il faut bien préserver tout à la fois le commun et le différent. Rien de plus excitant, en somme. L'acte de création ne vaut que lorsqu'il y a risque de catastrophe. Marcheschi regrette que les temps contemporains aient abandonné la pratique du portrait parce qu'il voit dans son application une forme de préservation qu'aucune autre forme d'art de représentation ne lui semble capable de tenir. "La photographie est réifiante à côté de la peinture, lance-t-il sur un ton appuyé ; elle manque de chair et de corps face au drapé somptueux, millénaire et troué de l'art des peintres. Elle est pauvre en ce qu'elle manque de durée et de temps."
Voudrait-il s'inscrire en résistance, il ne s'y prendrait pas mieux. En réalité, l'artiste n'a que faire des effets de mode ou d'époque. Il suit son chemin, celui où l'entraînent l'écriture et les matériaux. Encore une fois, la formule est ici vérifiée : le luxe de la peinture est de prendre son temps et celui du peintre de lui donner le sien.
Le temps, Pirandello l'a pris à rédiger l'un de ses plus célèbres romans, Uno, nessuno e centomila. Commencé en 1909, achevé en 1926, il l'a tout d'abord publié sous la forme d'un feuilleton dans Le Salon littéraire. Dans une lettre autobiographique, l'auteur définit lui-même son livre comme "la description la plus amère et la plus profondément drôle de la décomposition de la vie". Non paradoxe mais complémentarité. Jean-Paul Marcheschi — qui a écrit sur "le pacte obscur avec l'eau" qu'a signé selon lui le peintre de Giverny — le sait bien : les œuvres de longue haleine offrent à voir des contradictions fondamentales. En quête de l'unicité de l'être, ses portraits sont tout à la fois individuels et universels. Ils disent l'homme rassemblé et distinct en ce que chacun compte quelque chose de ce nucleus qui fait l'humanité. »
Philippe Piguet Jean-Paul Marcheschi, éloge du nombre (in Jean Paul Marcheschi, 11 000 portraits pour l'humanité ou la Mathématique du feu Éditions Art 3, 2014)
On peut commander le catalogue de l'exposition ici.
On peut commander le catalogue de l'exposition ici.
Images : en haut et tout en bas (2), merci à Mathieu François du Bertrand (Site Flickr)
tout en bas (1), merci à Afchine Davoudi (Site Flickr)
tout en bas (1), merci à Afchine Davoudi (Site Flickr)
pour les autres images : Source
"E l'aria è nuova. E tutto, attimo per attimo, è com'è, che s'avviva per apparire. Volto subito gli occhi per non vedere più nulla fermarsi nella sua apparenza e morire. Così soltanto io posso vivere, ormai. Rinascere attimo per attimo. Impedire che il pensiero si metta in me di nuovo a lavorare, e dentro mi rifaccia il vuoto delle vane costruzioni.
La città è lontana. Me ne giunge, a volte, nella calma del vespro, il suono delle campane. Ma ora quelle campane le odo non più dentro di me, ma fuori, per sé sonare, che forse ne fremono di gioia nella loro cavità ronzante, in un bel cielo azzurro pieno di sole caldo tra lo stridio delle rondini o nel vento nuvoloso, pesanti e così alte sui campanili aerei. Pensare alla morte, pregare. C'è pure chi ha ancora questo bisogno, e se ne fanno voce le campane. Io non l'ho più questo bisogno, perché muoio ogni attimo, io, e rinasco nuovo e senza ricordi : vivo e intero, non più in me, ma in ogni cosa fuori".
"Et l'air est neuf. Et tout, d'instant en instant, est ce qu'il est, et se ravive pour apparaître. Je détourne aussitôt les yeux pour ne plus rien voir se figer dans son apparence et mourir. Ce n'est que comme cela que je puis vivre, désormais. Renaître d'instant en instant. Empêcher que le travail de la pensée ne reprenne, en recréant en moi le néant des constructions vaines.
La ville est loin. Il m'en parvient parfois, dans le calme du soir, le son des cloches. Mais maintenant, ce n'est plus en moi que retentissent ces cloches, mais hors de moi, elles sonnent pour elles-mêmes ; peut-être en frémissent-elles de joie entre les parois de leurs bourdonnantes cavités, sous un beau ciel bleu bien ensoleillé, parmi les cris perçants des hirondelles ou dans dans le vent chargé de nuages, hautes et pesantes dans leurs campaniles aériens. Penser à la mort, prier. Pour certains, ce besoin existe encore, et c'est par la voix des cloches qu'il s'exprime. Pour ma part, je n'éprouve plus ce besoin, parce que je meurs à chaque instant, pour renaître neuf et sans souvenirs : vivant et entier, non plus en moi, mais en toutes les choses extérieures."