Un extrait du premier roman de Mario Fortunato, Il primo cielo, paru en Italie en 1990 et qui n'a pour le moment pas été traduit en français. Anna, l’héroïne, est violoniste et elle a décidé de ne plus donner de concert, se contentant d'enregistrer des disques. Dans le passage que je cite ici, elle rejoue pour la première fois depuis de longues années devant un public, à l’occasion d’une fête organisée en son honneur : Quasi puntando a un effetto sorpresa, ho attaccato di colpo la
Seconda Partita. Fra me e gli altri, si è subito aperto un vuoto. Ho immaginato una camera d’aria : la voce del violino era il sibilo, il segnale di qualcosa che, di botto, si sta sgonfiando. Una perdita, durata appena qualche istante, il tempo di poche battute. Da quel precipizio sonoro, sono riemersa a fatica nella pausa fra l’Allemanda e la Corrente. Ora stavo riprendendo con più dolcezza, cercando un sorriso dell’archetto, una tenerezza delle corde : ho allungato i movimenti, e i muscoli si sono adeguati a una diversa distensione del tempo. Stavo puntando a una sorta di distanza da me stessa, da tutto ciò che di ingombrante e di sovrapposto rappresentavo per le note. Volevo frenare a ogni costo l’impulso a essere io lo strumento, io la cassa armonica, io la voce e il suo timbro. Pensavo a un disco, a un sistema meccanico e insieme armonico, che girava su se stesso dentro e fuori di me. Era come spargere gli accordi nell’aria, senza più volerli raccogliere. Fantasticavo una semina, un gesto che si esauriva e tornava a ripetersi nell’atto stesso del suo compiersi. Non c’era più nessuna pausa fra un movimento e l’altro, non avevo bisogno di qualche istante di silenzio per riprendere fiato. Anzi, il silenzio era parte della musica stessa, si insinuava in ogni interstizio, irrigandola e permeandola in profondità. Quasi in modo autonomo, il capo si inclinava sempre più, cercando il contatto, lo struggersi della pelle e del legno.
Poi, arrivata alla Giga, sentii che non valeva più nulla continuare a suonare. Avvertii la musica che io stessa producevo come la forma
di un grande vuoto in espansione, una galassia negativa di suoni. Era una progressione roteante verso l’alto o una spirale che si avvitava in giù, e sotto e sopra, prima e dopo, tempo e spazio tracciavano simultaneamente un profilo e la sua negazione. Trascinata in questa corrente, scorgevo un dialogo fra presente e passato, ma in questo scambio reciproco era contenuta una spinta all’indietro, sempre più indietro, verso un luogo spaventosamente lontano. Percepii la mia identità come qualcosa che non mi apparteneva più. Io non ero più io ; ero nulla ; ero il pentagramma prima della scrittura ; ero il suono prima di ogni nota. C’era solo un tono, un colore vocale che, come un’energia magnetica, legava e imbastiva il mio essere. Grazie a questo debole segnale acustico, ora capivo a un tratto il motivo delle mie disattenzioni e incertezze e confusioni. E comprendevo la sollicitudine di mio fratello e la sua paura che io perdessi del tutto, progressivamente, la memoria. Una volta, lui mi aveva anche parlato di alcuni rari casi di precoce demenza senile ; aveva usato una denominazione scientifica, cha avevo subito respinto e dimenticato. La mia malattia era dunque qualcosa di bianco e incorporeo, come la musica. A rigore, anzi, non era neppure una malattia, ma l’analogo di me stesso e di ciò che nel tempo avevo più amato. Cercando nel linguaggio dei suoni il codice della mia esistenza, ero giunto a una soglia, e quel varco non poteva che schiudere se stesso. Per questo, la musica fuori di me doveva ormai soltanto tacere. Non c’era più nessun ordine da stabilire ; nessun confine separava una cosa dall’altra ; nessun orizzonte era distinguibile fra cielo e terra. Tutto si svolgeva e era possibile secondo una continuità costante e imperfetta. Sognai, prima che l’ultima nota della Ciaccona si spegnesse nell’aria, una zona aperta in cui luce e ombra sfumavano una nell’altra, in cui dolore e gioia erano tutt’uno, e presente e passato si perdevano e riannodavano nel futuro. Chiamai mentalmente questo altrove, che era anche qui e ora, il primo cielo della dimenticanza, e quello era il luogo di un ricordare senza ricordi.
Mario Fortunato Il primo cielo Ed. Einaudi, 1990
Comme si je recherchais un effet de surprise, j’ai attaqué d’emblée la deuxième
Partita. Entre les autres et moi s’est soudain créé un vide. J’ai pensé à une chambre à air : la voix du violon était le sifflement, le signe de quelque chose qui, brusquement, se dégonfle. Une perte, qui a duré l’espace d’un instant, le temps de quelques accords. Je me suis péniblement extraite de ce précipice sonore pendant la pause entre l’Allemande et la Courante. Je reprenais maintenant avec plus de douceur, en cherchant un sourire de l’archer, une tendresse des cordes : j’ai donné de l’ampleur à mes mouvements, et les muscles se sont adaptés à un tempo différent, plus apaisé. J’étais à la recherche d’une sorte de distance vis-à-vis de moi-même, de tout ce qui en moi était encombrant et superflu par rapport aux notes. Je voulais ralentir à tout prix l’élan qui me poussait à être moi-même l’instrument, la caisse de résonance, la voix et le timbre du violon. Je pensais à un disque, à un système à la fois mécanique et harmonieux, qui tournait sur lui-même en moi et en dehors de moi. C’était comme si je lançais les accords dans l’air, sans chercher à les recueillir. J’imaginais des semailles, un geste qui s’épuisait pour se réaliser à nouveau
dans l’acte même de son accomplissement. Il n’y avait plus de pause entre un mouvement et l’autre, je n’avais plus besoin d’instant de silence pour reprendre souffle. Le silence était lui-même devenu une partie de la musique elle-même, il l’irriguait et l’imprégnait en profondeur, s’insinuant dans chaque interstice. Presque de façon autonome, ma tête s’inclinait toujours davantage, recherchant le contact, la fusion de la peau et du bois.
Puis, arrivée à la Gigue, je sentis qu’il était devenu inutile de jouer. Je perçus la musique que je produisais comme une sorte de grand vide en expansion, une galaxie négative de sons. C’était comme une avancée tourbillonnante vers le haut ou une spirale se déroulant vers le bas ; et dessus et dessous, avant et après, le temps et l’espace traçaient simultanément un profil et son effacement. Emportée dans ce courant, je découvrais un dialogue entre le présent et le passé, mais cet échange réciproque était aussi à l’origine d’un retour en arrière, toujours plus loin, vers un lieu terriblement éloigné. Je perçus mon identité comme une chose qui ne m’appartenait plus. Je n’étais plus moi ; je n’étais plus rien ; j’étais comme la portée sur laquelle aucun signe n’a encore été tracé ; le son avant la première note. Il y avait simplement une tonalité, une couleur vocale qui, comme une énergie magnétique, liait et construisait mon être. Grâce à ce faible signal sonore, je comprenais tout à coup le motif de mes distractions, incertitudes et confusions. Et je comprenais la sollicitude de mon frère et sa crainte de me voir perdre complètement, et de façon progressive, la mémoire. Il avait même évoqué une fois quelques rares cas de démence sénile précoce ; il avait employé un terme scientifique, que j’avais aussitôt écarté et oublié. Ma maladie était donc quelque chose d’immaculé et d’immatériel, comme la musique. À la rigueur, il ne s’agissait même pas d’une maladie, mais d’une sorte de coïncidence de mon être avec ce que j’avais le plus aimé tout au long de ma vie. En cherchant dans le langage des sons le code de mon existence, j’étais parvenue à un seuil, un passage qui ne pouvait que s’ouvrir devant moi. Pour cela, la musique extérieure à moi-même n’avait plus désormais qu’à faire silence. Il n’y avait plus aucun ordre à établir ; aucune frontière ne séparait plus les choses ; aucun horizon n’était plus perceptible entre le ciel et la terre. Tout se déroulait et s’affirmait selon une continuité constante et imparfaite. Avant que la dernière note de la Chaconne se fût éteinte dans la pièce, je songeai à une zone ouverte où la lumière et l’ombre se confondaient, où la joie et la douleur n’étaient plus qu’une seule et même chose, où le présent et le passé se perdaient et se réunissaient dans le futur. Mentalement, j’appelai cet ailleurs, qui était aussi ici et maintenant, le premier ciel de l’oubli, et c’était le lieu où l’on pouvait se souvenir sans souvenirs.
(
Traduction personnelle)