Sous les feux que juin verse,
Comme l’éclair, Mireille court, et court, et court !
De soleil en soleil et de vent en vent, elle voit
Une plaine immense : des savanes
Qui n’ont à l'œil ni fin ni terme ;
De loin en loin, et pour toute végétation,
De rares tamaris ... et la mer qui paraît...
Des tamaris, des prêles,
Des salicornes, des arroches, des soudes,
Amères prairies des plages marines,
Où errent les taureaux noirs
Et les chevaux blancs : joyeux,
Ils peuvent là librement suivre
La brise de mer tout imprégnée d’embrun.
La voûte bleue où plane le soleil
S’épanouissait , profonde , brillante,
Couronnant les marais de son vaste contour ;
Dans le lointain clair
Parfois un goéland vole ;
Parfois un grand oiseau projette son ombre,
Ermite aux longues jambes des étangs d’alentour.
C’est un chevalier aux pieds rouges ;
Ou un bihoreau qui regarde, farouche,
Et dresse fièrement sa noble aigrette,
Faite de trois longues plumes blanches...
Déjà cependant la chaleur énerve :
Pour s’alléger, de ses hanches
La jeune fille dégage les bouts de son fichu.
Et la chaleur, de plus en plus vive,
De plus en plus devient ardente ;
Et du soleil qui monte au zénith du ciel pur,
Du grand soleil les rayons et le hâle
Pleuvent à verse comme une giboulée :
Tel un lion, dans la faim qui le tourmente,
Dévore du regard les déserts abyssins!
Sous un hêtre, qu’il ferait bon s’étendre!
Le blond rayonnement du soleil qui scintille
Simule des essaims, des essaims furieux,
Essaims de guêpes, qui volent,
Montent, descendent et tremblotent
Comme des lames qui s’aiguisent.
La pèlerine d’amour que la lassitude brise
Et que la chaleur essouffle,
De sa casaque ronde et pleine
A ôté l’épingle ; et son sein agité
Comme deux ondes jumelles
Dans une limpide fontaine,
Ressemble à ces campanules
Qui, au rivage de la mer, étalent en été leur blancheur.
Mais peu à peu devant sa vue
Le pays perd sa tristesse ;
Et voici peu à peu qu’au loin se meut
Et resplendit un grand lac d’eau :
Les phillyreas, les pourpiers,
Autour de la lande qui se liquéfie,
Grandissent, et se font un mol chapeau d’ombre.
C’était une vue céleste,
Un rêve frais de Terre-Promise !
Le long de l’eau bleue, une ville bientôt
Au loin s’élève, avec ses boulevards,
Sa muraille forte qui la ceint,
Ses fontaines, ses églises, ses toitures,
Ses clochers allongés qui croissent au soleil.
Des bâtiments et des pinelles,
Avec leurs voiles blanches,
Entraient dans la darse ; et le vent, qui était doux,
Faisait jouer sur les pommettes
Les banderoles et les flammes.
Mireille, avec sa main légère,
Essuya de son front les gouttes abondantes ;
Et à pareille vue
Elle pensa, mon Dieu ! crier miracle !
Et de courir, et de courir, croyant que là était
La tombe sainte des Maries.
Mais plus elle court, plus change
L’illusion qui l’éblouit,
Et plus le clair tableau s’éloigne et se fait suivre.
Œuvre vaine, subtile, ailée,
Le Fantastique l’avait filée
Avec un rayon de soleil, teinte avec les couleurs
Des nuages : sa trame faible
Finit par trembler, devient trouble,
Et se dissipe comme un brouillard.
Mireille reste seule et ébahie, à la chaleur...
Et en avant dans les monceaux de sable,
Brûlants, mouvants, odieux !
Et en avant dans la grande sansouire, à la croûte de sel
Que le soleil boursoufle et lustre,
Et qui craque, et éblouit !
Et en avant dans les hautes herbes paludéennes,
Les roseaux, les souchets, asile des cousins !
Avec Vincent dans la pensée,
Cependant, depuis longtemps
Elle côtoyait toujours la plage reculée du Vaccarès;
Déjà, déjà des grandes Saintes
Elle voyait l’église blonde,
Dans la mer lointaine et clapoteuse,
Croître, comme un vaisseau qui cingle vers le rivage.
De l’implacable soleil
Tout à coup la brûlante échappée
Lui lance dans le front ses aiguillons : la voilà,
Infortunée! qui s’affaisse,
Et qui, le long de la mer sereine,
Tombe, frappée à mort, sur le sable.
Ô Crau, ta fleur est tombée!... ô jeunes hommes, pleurez-la !...
Traduction italienne :
Sotto i fuochi che Giugno versa,
Mirella corre e corre e corre !
Di qua di là, di sù di giù vede
Una pianura immensa : delle brughiere
Che non hanno fine nè termine all’occhio ;
Di tratto in tratto, sola verdura,
Qualche rara tamerice... e il mar che s’intravede laggiù.
Salatelle, setoni,
Salicornie, spinaccioni, sode :
Amari pascoli delle spiagge marine,
Dove errano negri tori
E cavalli bianchi ;
Là posssono, essi, allegri e liberi, inseguire
La brezza di mare, tutta fresca di un salso polverio.
Sopra, si apriva l’azzurra cappa,
Piena di sole, profonda, brillante,
Coronando le paludi col suo vasto contorno.
Nelle lontananze luminose
Svolazza ad ora ad ora un gabbiano,
O un grande uccello getta la sua ombra,
Eremita gambuto degli stagni.
É un gambetto dai piedi rossi,
O un airone che volge attorno lo sguardo selvaggio,
E drizza fieramente il suo nobile pennacchio
Di tre lunghe piume bianche...
Il caldo cresce, spossante ;
Per alleggerirsi, la fanciulla disfà
Le cocche del fisciù annodate su l’anche.
Il caldo è sempre più forte,
Sempre più ardente ;
I raggi e le vampe del sole,
Che monta alla vetta del cielo,
Si rovesciano giù a torrenti come uno scroscio di tempesta :
Pare, il sole, un leone affamato
Che divori con lo sguardo i deserti abissini.
Bello sarebbe stendersi sotto un faggio !
Lo scintillìo d’oro dei raggi
simula degli sciami, sciami furiosi,
sciami di vespe che volano,
salgono, scendono, tremuli balenano
come lame affilate.
La pellegrina d’amore, rotta dalla stanchezza,
Affannata dal caldo,
Ha tolto la spilla dal suo corpetto
Rotondo e pieno ;
E i suoi seni, agitati
Come due onde gemelle
D’una limpida fontana,
Biancheggiano come campanule marine.
Ma a poco a poco davanti ai suoi occhi
Il paese si fa meno triste ;
Ed ecco, a poco a poco, agitarsi e tralucere laggiù
Un grande chiaro lago :
Gelsomini e portulache
Crescono alti dove la landa si perde nell’acqua,
Facendo dei molli cappelli d’ombra.
Era una visione celestiale,
Un fresco sogno di Palestina !
E tosto si vede, lungo l’acqua azzurra,
Sorgere una città lontana, con le sue vie,
Col forte bastione che la circonda,
Con le fontane, le chiese, i tetti,
I lunghi campanili che si drizzano nel sole.
Bastimenti e peote,
Spiegate le vele bianche,
Entravano nella darsena ; e il vento, ch’era dolce,
Faceva sventolare su le alberature
Le bandierine e le fiamme...
Mirella, con la mano lieve,
S’asciugò il sudore stillante dalla fronte ;
E a tal vista,
Mio Dio, pensò di gridare al miracolo !
E corri e corri, credendo di trovar là
La tomba santa delle Marie.
Ma più ella corre, più si muta
La visione abbagliante,
Il miraggio luminoso più s’allontana e sfugge.
Opera vana, sottile, alata,
Che lo Spirito fantastico avea tessuto
Con un raggio di sole, e tinto coi colori
Delle nuvole : la sua debole trama
Finisce a tremolare, confondersi
E svanire come una nebbia.
Mirella resta, sola e sbigottita, nel gran caldo.
E avanti su le odiose dune di sabbia,
Cedevoli e brucianti !
Avanti su la terra incrostata di sale
Che il sole gonfia e lustra,
Scricchiolante, accecante !
Avanti tra le alte pinate palustri,
Tra le canne ed i giunchi, popolati di zanzare.
Ma intanto, sempre col pensiero a Vincenzo,
Ella veniva costeggiando
Il remoto Vaccarès ;
E già scorgeva rosseggiare
La chiesa delle gran Sante,
E levarsi sempre più alta sul mar lontano e mosso,
Come un vascello che poggia alla riva.
E d’improvviso
La vampa dell’implacabile sole
La ferisce in fronte delle sue punte :
Eccola, poverina, che si piega su se stessa,
E cade, colpita a morte,
Lungo il mare sereno, sul sabbione...
O Crau, il tuo fiore è caduto ! Piangetela, voi, giovani !...
Pour le texte en provençal et en français, l'édition que je cite est celle des Cahiers Rouges, Grasset, 2004.
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