Dans son bel ouvrage Addio al calcio, Valerio Magrelli fait ses adieux au football, qu'il a beaucoup pratiqué, comme joueur amateur plus que comme spectateur dans les stades, en quatre-vingt-dix fragments qui correspondent aux quatre-vingt-dix minutes des deux mi-temps d'un match. Avec ferveur, ironie ou mélancolie, il évoque ce qui est en Italie beaucoup plus qu'un sport : une véritable passion nationale, à la fois exutoire, rite initiatique et obsession collective. Il dit aussi adieu à une certaine innocence de la jeunesse, faite d'enthousiasme et de fougue, de plaisir du jeu et de la dépense physique, avant que l'âge impose sa rigueur et ses limites. Je cite ici deux extraits : le premier correspond à la vingt-quatrième minute de la première mi-temps, le second à la trente-huitième minute de la deuxième mi-temps.
A proposito di
vecchiaia. Ho continuato a giocare a calcio fin verso i quarant’anni. Da un
certo punto in poi era diventato sempre più difficile mettere insieme una
manciata di giocatori, ma l’incontro con il fratello di un mio amico cambiò
tutto. Iniziai a giocare con una squadra di ragazzi molto simpatici e bravi.
Troppo. Andò avanti per qualche partita, quando un giorno, anzi una sera,
successe il fattaccio. Mi stavo muovendo piuttosto bene in campo, e feci
addirittura una discesa gloriosa, fino al limite dell’area, quando il compagno
che mi correva a fianco venne abbattuto e l’arbitro fischiò il fallo. Fu allora
che capii.
Se ero riuscito a tagliare la difesa come burro, a saltare terzini
come in sogno, era perché tutti quanti si scansavano, anzi, letteralmente, mi
evitavano. La loro gentilezza era squisita, sebbene piuttosto umiliante, e
tutto mi fu chiaro quando un avversario mi si avvicinò per consegnarmi la palla.
Stava esortandomi a battere la punizione, ma dandomi del lei. Del lei, in un
campo di calcio ! Mi sentii amareggiato, e non potevo prendermela con
nessuno. Avrei dovuto capirlo. Quella fu la mia ultima partita.
À propos de
vieillesse. J’ai continué de jouer au foot jusqu’à la quarantaine. À partir
d’un certain moment, il était devenu de plus en plus difficile de réunir une
poignée de joueurs, mais la rencontre avec le frère d’un de mes amis changea
tout. Je commençai à jouer avec
une équipe de garçons très sympathiques et très
doués. Trop. Cela continua pendant quelques parties, mais un jour, ou plutôt un
soir, l’incident eut lieu. Je me déplaçais plutôt bien sur le terrain et je fis
même une incursion glorieuse, jusqu’à la limite de la surface de réparation,
quand le camarade qui courait à mes côtés fut jeté au sol, et l’arbitre siffla
la faute. Ce fut alors que je compris.
Si j’avais réussi à enfoncer la défense
comme du beurre, et à doubler des arrières comme dans un rêve, c’était parce
que tous s’écartaient, ou plutôt, littéralement, m’évitaient. Leur gentillesse
était exquise, quoique plutôt humiliante, et tout fut clair pour moi lorsqu’un
adversaire s’approcha pour me remettre le ballon. Il m’exhortait à tirer le
coup franc, mais en me vouvoyant. Un vouvoiement, sur un terrain de foot !
Je me sentis plein d’amertume, et ne pouvais m’en prendre à personne. J’aurais
dû comprendre. Ce fut mon dernier match.
Valerio Magrelli Adieu au foot Actes Sud, 2012 (Traduction :
Marguerite Pozzoli, en collaboration avec
René Corona)
Epopea dei palloni perduti. Sono le
briciole di Pollicino che dovrei ritrovare per risalire il sentiero di casa.
Quanti palloni ! E ovunque. Nei fiumi, innanzitutto, che appena toccata
l’acqua, scappano via veloci. Nei laghi, più pacifici, ma non meno insidiosi.
Qualcuno al mare, molti sopra gli alberi, incastrati sui rami più alti a
formare un groviglio inestricabile, una specie di simbolo araldico. E quanti
finiti bucati ! Quelli di plastica leggera, che volavano via alla prima
brezza ("a vento", si diceva, guardando le inverosimili parabole tracciate quando
li si colpiva con violenza), ma anche gli altri, via via divorati dai cespugli,
dai vetri, dalle spine. In definitiva, non c’è pallone che non si sia perso o
forato. E forse tutto questo vorrà dire qualcosa.
Valerio Magrelli Addio al calcio Einaudi, 2010
Epopée des ballons perdus. Ce
sont les miettes du Petit Poucet que je devrais retrouver pour remonter le
sentier vers la maison. Tant de ballons ! Et partout.
Dans les rivières,
avant tout : dès qu’ils ont touché l’eau, ils filent à toute vitesse. Dans
les lacs, plus paisibles, mais non moins insidieux. Quelques-uns
à la mer,
beaucoup sur les arbres, coincés dans les branches les plus hautes pour former
un écheveau inextricable, une espèce de symbole héraldique. Et tant de ballons
percés ! Ceux en plastique
léger, qui s’envolaient à la première brise ("au
vent", disait-on, en regardant les invraisemblables paraboles qu’ils dessinaient
lorsqu’on les frappait avec violence), mais aussi les autres, peu à peu dévorés
par les buissons, les tessons de verre, les ronces. En définitive, il n’est pas
de ballon qui ne se soit perdu ou percé. Et peut-être
tout cela signifie-t-il
quelque chose.
Valerio Magrelli Adieu au foot Actes Sud, 2012 (Traduction : Marguerite Pozzoli, en collaboration avec René Corona)