C'erano nel bianco riverberi di bianco, che spumeggiando rotolavano su una distesa bianca, il cielo, sopra, era bianco, un cielo perso nella luce che lo abbagliava di bianco, è assenza, mi dicevo, è vuoto d'assenza, ma era un bianco che innevava i pensieri, un abisso di bianco che cancellava ogni cosa, a guardare bene anche il fondo del bianco, il suo incavo, il suo riflesso erano bianchi, è il silenzio, mi dicevo, il silenzio dell'origine, o della fine, ma era solo un immenso lenzuolo bianco sotto cui dormivano bianche moltitudini, qua e là s'affaciavano parvenze vestite di bianco, disfatte subito nel bianco, s'affaciavano simulacri imbiancati, smarriti nei loro bianchi pensieri, è il nulla, mi dicevo, il bianco del nulla, ma era soltanto un sogno di bianco che generava bianco, così quando fui sveglio guardai a lungo, di là dalla finestra, la luna, che quella notte era bellissima e bianca.
Antonio PreteMenhir ed. Donzelli, 2007
Il y avait dans le blanc des miroitements de blanc, qui en moussant roulaient sur une étendue blanche, le ciel, au-dessus, était blanc, un ciel perdu dans la lumière qui l'éblouissait de blanc, c'est l'absence, me disais-je, c'est le vide de l'absence, mais c'était un blanc qui recouvrait de neige les pensées, un abîme de blanc qui effaçait toute chose, à bien y regarder même le fond du blanc, sa cavité, son reflet étaient blancs, c'est le silence, me disais-je, le silence de l'origine, ou de la fin, mais ce n'était qu'un immense drap blanc sous lequel dormaient de blanches multitudes, ça et là apparaissaient des ombres vêtues de blanc, qui se fondaient aussitôt dans le blanc, des simulacres blanchis apparaissaient, égarés dans leurs blanches pensées, c'est le néant, me disais-je, le blanc du néant, mais ce n'était qu'un rêve de blanc qui engendrait du blanc, ainsi à mon réveil je regardai longtemps par la fenêtre, la lune, qui cette nuit-là était très belle et blanche.
(Traduction personnelle)
Images, au centre et en bas : Carlo Ilmari Cremonesi(Site Flickr)
La Piste Pasolini est le titre du premier livre d'un jeune écrivain de vingt-trois ans, Pierre Adrian. Je crois bien que c’est l’un des meilleurs ouvrages que l’on ait écrits sur Pasolini en français, parce qu’il n’est pas simplement un essai sur l’œuvre, mais également un passionnant voyage dans l’Italie d’aujourd’hui sur les traces d’un poète profondément aimé. Le prologue nous ramène sur la plage d’Ostie où tout s’est achevé il y a (déjà) quarante ans puis l’on va revenir au point de départ (Casarsa et le Frioul) avant de suivre les autres étapes de la vie de Pasolini : Rome (la stazione Termini, la Piazza Costaguti, le marché du campo de’ Fiori, les bords du Tibre, la via Salaria et le quartier de l’EUR, où Pasolini a habité jusqu'à la fin de sa vie), et enfin la tour de Chia, le dernier refuge, auquel sont consacrées les très belles dernières pages du livre. À Casarsa, l’auteur rencontre les derniers témoins de la jeunesse de Pasolini ; il se rend ensuite à Trévise, où réside Nico Naldini, cousin et biographe du poète, ce qui nous vaut des pages mélancoliques et désenchantées sur l’Italie d’aujourd’hui, dans laquelle Naldini se sent terriblement étranger ; il rencontre également à Rome, dans son appartement de la via Alessandria, le critique et cinéaste Carlo di Carlo, qui fut l’assistant de Pasolini pour Mamma Roma et le documentaire La Rabbia ; toujours à Rome, l’auteur se rend au cimetière acattolico, sur la tombe de Gramsci (là où Pasolini alla lui-même, comme en témoigne une célèbre photographie), ce qui lui permet de se livrer à plusieurs considérations passionnantes sur les nombreux thèmes qui unissent les œuvres de ces deux grands auteurs (on se souvient bien sûr des vers des Cendres de Gramsci, parmi les plus beaux qu’a écrits Pasolini). Pour donner une idée du ton très personnel de cet ouvrage et de la familiarité de ce jeune auteur avec la pensée de Pasolini, je cite ici un passage où il évoque le scénario sur saint Paul que le cinéaste ne parvint pas à réaliser, et le désert moderne que constitue pour lui la ville de Trévise qu’il visite un soir d’hiver :
Pasolini a voulu tourner un film sur saint Paul. Je n’ai pas été étonné de l’apprendre. Il y a dans les écrits de Pasolini une similitude avec le converti de Damas. « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? » demande Dieu. Pasolini demande à Dieu : « Seigneur, pourquoi suis-je persécuté ? » Saint Paul, Pasolini... Deux figures molestées, tuées aux portes de Rome.
[...]
Pasolini transpose saint Paul au cœur du monde moderne. New York, épicentre du monde de l’après-guerre, remplace Rome. Comme si Pasolini s’accordait avec Chesterton, lequel écrit déjà en 1926 que « la folie de demain n’est pas à Moscou, mais plutôt à Manhattan ». Les Pharisiens sont les intellectuels et les journalistes de notre époque, et Paul intervient dans les conférences et les tables rondes au milieu de nos grandes métropoles. C’est au pied des buildings new-yorkais que Pasolini imagine son assassinat, dans le même hôtel que Martin Luther King. Le film n’a pas trouvé de financement. Il ne s’est jamais fait. Publié, le scénario se lit facilement. Plus de quarante ans après cet avortement, qui devait être la suite de L’Évangile selon Saint Matthieu, les mots de Pasolini sont encore actuels. J’ai aussi retenu ceux-ci :
« Aucun désert ne sera jamais plus désert qu’une maison, une place, une rue où vivent les hommes mille neuf cent soixante dix ans après Jésus-Christ. Ici, c’est la solitude. Coude à coude avec ton voisin qui s’habille dans les mêmes grands magasins que toi, fréquente les mêmes boutiques que toi, lit les mêmes journaux que toi, regarde la même télévision que toi, c’est le silence. » (extrait de Saint Paul, de PPP)
La ville moderne a son désert. Et au moment d’entrer à Trévise à une grosse heure de Casarsa, je découvre un désert plus aride encore que celui des années 70. Entourée de remparts, Trévise est un rectangle qui renferme quelques canaux ; presque chaque rue débouche sur une place, un campo. Elle a tous les attributs d’une charmante ville de province, charme balayé par le fric. Ce dimanche après-midi, Trévise dégoûte en ses ruelles, et la métaphore du désert est là, plus vraie qu’ailleurs. Les boutiques sont toutes ouvertes, dégueulant sur la rue la même musique sans émotion, les chariots de cintres qui trimbalent les dernières frusques à la mode. « Saldi, saldi, saldi. » Temps béni des soldes, où les magasins ne connaissent plus d’horaires. La foule court parmi les boutiques, entre et sort, elle se bouscule comme des têtards dans un bocal. Je suis surpris. Je m’attendais à l’ambiance d’un village, et je découvre un ghetto de nouveaux riches, avec leurs doudounes luisantes, leurs jeans délavés, toute cette gomme dans leurs cheveux et cette crème sur leur peau. L’odeur de Trévise est celle qu’on respire à l’approche des parfumeries. Un mélange salace et nauséeux de climatisation moite et d’arômes de grandes marques. Le contraste à Trévise est plus fort encore car la ville, qui repose sur ses vestiges, paraît fatiguée par la fierté petite-bourgeoise de ses habitants. Fierté de porter la dernière doudoune Moncler, fierté de serrer contre soi cette femme gavée de fond de teint. Elle joue l’équilibriste sur les pavés avec ses talons hauts.
Dimanche après-midi, moment sacré de la consommation, du lèche-vitrines. Moment sacré de l’absence de sacré. Retrouver cette sensation, là, dans une petite ville délicieuse de la plaine du Pô, montre encore plus l’absurdité de ce système de consommation. Réservé aux grandes villes ? Non. Des métropoles aux villes, il dégouline jusqu’aux villages, où la municipalité s’offre parfois le luxe de disséminer des enceintes dans ses rues pour que la musique soit là, partout et tout le temps. « Il n’y a pas d’autre métaphore du désert que la vie quotidienne. » écrit toujours Pasolini dans Saint Paul.
Venne la notte e fu compita la conquista dell'ancella. Il suo corpo ambrato la sua bocca vorace i suoi ispidi neri capelli a tratti la rivelazione dei suoi occhi atterriti di voluttà intricarono una fantastica vicenda. Mentre più dolce, già presso a spegnersi ancora regnava nella lontananza il ricordo di Lei, la matrona suadente, la regina ancora ne la sua linea classica tra le sue grandi sorelle del ricordo: poi che Michelangiolo aveva ripiegato sulle sue ginocchia stanche di cammino colei che piega, che piega e non posa, regina barbara sotto il peso di tutto il sogno umano, e lo sbattere delle pose arcane e violente delle barbare travolte regine antiche aveva udito Dante spegnersi nel grido di Francesca là sulle rive dei fiumi che stanchi di guerra mettono foce, nel mentre sulle loro rive si ricrea la pena eterna dell'amore. E l'ancella, l'ingenua Maddalena dai capelli ispidi e dagli occhi brillanti chiedeva in sussulti dal suo corpo sterile e dorato, crudo e selvaggio, dolcemente chiuso nell'umiltà del suo mistero. La lunga notte piena degli inganni delle varie immagini.
La nuit vint et la conquête de la servante fut consommée. Son corps ambré, sa bouche vorace, ses noirs cheveux hirsutes, par moment la révélation de ses yeux terrifiés de volupté, enchevêtrèrent un fantastique événement. Alors que plus doux, déjà sur le point de s'éteindre, régnait encore le souvenir d'Elle, la matrone persuasive, la reine encore en sa ligne classique, entre ses grandes sœurs du souvenir : après que Michel-Ange eut replié sur ses genoux fatigués de chemin celle qui plie, qui plie et ne repose pas, reine barbare sous le poids de tout le rêve humain, après que Dante eut entendu le battement des poses mystérieuses et violentes des reines barbares, antiques, révérées, s'éteindre dans le cri de Francesca, là, sur les rives des fleuves qui, fatigués de guerres, mettent en embouchure, alors que sur leurs rives se recrée la peine éternelle de l'amour. Et la servante, l'ingénue Madeleine aux cheveux hirsutes et aux yeux brillants, demandait en sursauts de son corps stérile et doré, cru et sauvage, doucement fermé dans l'humilité de son mystère. La longue nuit pleine des tromperies des nombreuses images.
Salutiamo ! Rintanati in una trincea, – irsuti e belli – figure di vivente fango ed anime di fuoco, – un gruppo d'uomini – soldati d'Italia, – col petto offerto alla morte pur si balocca colla morte. La mitraglia squarcia il cielo, la granata trasforma in un cratere in eruzione la terra che tocca, l'aria è piena di sibili e di tuoni, la fine può essere ad un passo, può essere tra un minuto, – e sulle labbra giovani, sulle labbra forse sul punto di chiudersi, il sorriso pur dura, e la celia, il frizzo, l'arguzia non s'aggelano. Le palle fischiano senza interruzione : « senti stamattina come i rusignoli cantano ! » dice uno. – Una bomba si affonda nella melma senza scoppiare. « La signora prende il suo bagno » un altro osserva, « ma si buscherà un raffreddore ». Un cannone, dalla vallata, tenta cogliere una posizione elevata. Lo si commisera : « è un tenore, ma poveretto, è costretto a cantare da basso ». E dinanzi ai fulmini, tra la ruina, sotto alle tempeste del piombo e del ferro, la risata non si tace, ma zampilla, pullula, si propaga, e la morte che guarda, la morte onnipotente che è da per tutto e il piú umile, se tocca, trasforma in eroe, la morte la rende questa risata sublime.
Signori, salutiamo !
Ernesto RagazzoniBuchi nella sabbia e pagine invisibili Einaudi Editore, 2000
Salut à tous ! Terrés dans une tranchée, — hirsutes et beaux — visages de boue et âmes de feu, — un groupe d'hommes — soldats d'Italie, — la poitrine offerte à la mort et pourtant jouant avec la mort. La mitraille déchire le ciel, les obus transforment en cratère fumant la terre qu'ils touchent, l'air est plein de sifflements et de détonations, la fin peut être proche, à moins d'une minute peut-être, — et sur les lèvres qui sont sans doute sur le point de se fermer, le sourire demeure, et le rire, la plaisanterie, la boutade ne se figent pas. Les balles sifflent sans trêve : « écoute comme les rossignols chantent ce matin ! » dit l'un. — Une bombe s'enfonce dans la boue sans exploser. « Madame prend son bain » observe un autre, « mais elle risque d'attraper un rhume ». Un canon, depuis la vallée, tente d'atteindre une position élevée. On le plaint : « il a une voix de ténor, mais le pauvre ne peut chanter que d'en bas ». Et au milieu des éclairs, au cœur du désastre, sous les tempêtes de plomb et de fer, le rire ne se tait pas, mais il jaillit, il pullule, il se propage, et la mort qui regarde, la mort toute puissante et omniprésente qui lorsqu'elle frappe peut transformer le plus humble en héros, la mort rend ce rire sublime.
Tierra le dieron una tarde horrible
del mes de julio, bajo el sol de fuego.
A un paso de la abierta sepultura
había rosas de podridos pétalos,
entre geranios de áspera fragancia
y roja flor. El cielo
puro y azul. Corría
un aire fuerte y seco.
De los gruesos cordeles suspendido,
pesadamente, descender hicieron
el ataúd al fondo de la fosa
los dos sepultureros...
Y al reposar sonó con recio golpe,
solemne, en el silencio.
Un golpe de ataúd en tierra es algo
perfectamente serio.
Sobre la negra caja se rompían
los pesados terrones polvorientos...
El aire se llevaba
de la honda fosa el blanquecino aliento.
– Y tú, sin sombra ya, duerme y reposa,
larga paz a tus huesos...
Definitivamente,
duerme un sueño tranquilo y verdadero.
Tyger ! Tyger ! burning bright
In the forests of the night,
What immortal hand or eye
Could frame thy fearful symmetry ?
In what distant deeps or skies
Burnt the fire of thine eyes ?
On what wings dare he aspire ?
What the hand dare sieze the fire ?
And what shoulder, & what art.
Could twist the sinews of thy heart ?
And when thy heart began to beat,
What dread hand ? & what dread feet ?
What the hammer ? what the chain ?
In what furnace was thy brain ?
What the anvil ? what dread grasp
Dare its deadly terrors clasp ?
When the stars threw down their spears,
And watered heaven with their tears,
Did he smile his work to see ?
Did he who made the Lamb make thee ?
Tyger ! Tyger ! burning bright In the forests of the night,
What immortal hand or eye
Dare frame thy fearful symmetry ?
William Blake, Songs of Experience
La Tigre
Tigre, tigre, oh bagliore
Nella notte, incendio che sei lume
Delle foreste, quale
Occhio o mano immortale
La simmetria della tua figura
Plasmò tutta paura ?
In quali abissi o cieli lontani
Si arroventò il fuoco dei tuoi occhi ?
Di quali ali ardisce avere il volo ?
Manipolano il tuo fuoco quali mani ?
E quale braccio artista, del tuo cuore
Torse le nervature ? Di Chi era
L’ inesorata mano che lo estrasse
Dal profondo braciere palpitante ?
Quali piedi tremendi misurarono
Il tuo scheletro orripilante ?
Chi fu il tuo maglio ? Chi la catena ?
Quale altoforno colò la tua mente ?
Chi fu l’incudine, chi la stretta dura
Che di abbrancarvi non ebbe timore,
Micidiali terrori ?
Quando le picche furono scagliate
Giù dal cielo irrorato
Dai pianti delle stelle, il Forgiatore
Guardando la sua opera – sorrise ?
Fece l’agnello e te un solo Creatore ?
Tigre, tigre, oh bagliore
Nella notte, incendio che sei lume
Delle foreste, quale
Occhio o mano immortale
La simmetria della tua figura
Plasmò tutta paura ?
Tigre, tigre, brûlant éclair
Dans les forêts de la nuit ;
Quel œil, quelle main immortelle
A pu ordonner ta terrifiante symétrie ?
Dans quelles profondeurs lointaines, dans quels cieux
Brûlait le feu de tes yeux ?
Sur quelles ailes ose-t-il se dresser ?
Quelle main osa saisir ce feu ?
Et quelle épaule et quel art
Put tordre les muscles de ton cœur ?
Et quand ton cœur commença à battre,
Quelle terrible main, quels terribles pieds ?
Quel fut le marteau, quelle fut la chaîne ?
Dans quelle fournaise était ta cervelle ?
Quelle fut l'enclume ? Quel terrible pouvoir
Osa en étouffer les mortelles terreurs ?
Quand les étoiles jetèrent leurs lances
Et abreuvèrent le ciel de leurs armes,
Sourit-il en contemplant son œuvre ?
Celui qui créa l'agneau te créa-t-il ?
Tigre, tigre, brûlant éclair
Dans les forêts de la nuit,
Quel œil, quelle immortelle main
Osa ordonner ta terrifiante symétrie ?
Lampi... fuori nel buio temporale
Lampi, qui nel Teatro Comunale
Lampi, sulle signore ingioiellate
Lampi, su legni e trombe lucidate...
Io, che sono qui per rivederti,
io, che sono qui per ritrovarti,
io, che sono qui per adorarti,
io, che non so un tubo di concerti...
Viva la musica che ti va
fin dentro all'anima che ti va...
penso di credere che finirò
sempre di vivere di te
parapunzipunzipunzipum, parapunzipunzipunzipum ...
Su, su dal loggione io ti osservo
bella, che tuo marito ne è superbo...
forse, forse tu vuoi che io ci sia
e aspetti di avere un lampo di follia...
Ma già le luci sfumano nell'ombra
ecco, ti sei voltata, o almeno sembra...
ma ora, il buio cala e non rimane
altro che l'incantesimo sublime...
E allora ... viva la musica che ti va
fin dentro all'anima che ti va...
penso di credere che finirò
sempre di vivere di te...
Testo e musica : Paolo Conte
Des éclairs... dehors dans l'orage nocturne
Des éclats, ici dans le Théâtral Communal
Des éclats, sur les dames embijoutées
Des éclats, sur les bois et les cuivres astiqués...
Et moi qui suis là pour te revoir
moi, qui suis là pour te retrouver
moi, qui suis là pour t'adorer
moi, qui ne comprend rien aux concerts...
Vive la musique qui va
jusqu'au fond de l'âme
il me semble que je vais finir
par ne vivre que pour toi...
Depuis le Paradis, je t'observe
si belle que ton mari en est si fier...
tu es peut-être heureuse que je sois là
peut-être n'attends-tu qu'un éclair de folie...
Mais déjà, les lumières déclinent
tiens, il me semble que tu t'es retournée...
mais maintenant le noir se fait et il ne reste
plus rien d'autre qu'un sublime enchantement...
Et alors, vive la musique qui va...
(Traduction personnelle)
Images : Prima della Rivoluzione (Bernardo Bertolucci)
C'était il y a quarante ans, dans la nuit du premier au deux novembre 1975, sur la plage d'Ostie, près de Rome...
Francesco De Gregori chante A Pa' (1985). Il est également l'auteur des paroles et de la musique de cette chanson :
Non mi ricordo se c'era luna, e nè che occhi aveva il ragazzo, ma mi ricordo quel sapore in gola e l'odore del mare come uno schiaffo. A Pà.
E c'era Roma così lontana, e c'era Roma così vicina, e c'era quella luce che ti chiama, come una stella mattutina. A Pà. A Pà. Tutto passa, il resto va.
E voglio vivere come i gigli nei campi, come gli uccelli del cielo campare, e voglio vivere come i gigli dei campi, e sopra i gigli dei campi volare.
Je ne me rappelle pas s'il y avait la lune, et j'ai oublié les yeux du garçon, mais je me souviens de ce goût dans la bouche et de l'odeur de la mer comme une gifle.
Et Rome était si lointaine, et Rome était si proche, et il y avait cette lumière qui t'appelle, comme une étoile du matin.
Je veux vivre comme les lys dans les champs, comme les oiseaux dans le ciel, je veux vivre comme les lys des champs, et au-dessus des lys des champs voler.
tout en bas, Ernest Pignon-Ernest, PASOLINI. 40 ans après son assassinat. Collage à Rome, Ostia, Naples, Matera, Mai/Juin 2015 (Source)
Témoignage de la femme qui a été la première à découvrir le corps de Pasolini au matin du deux novembre : « C'était à six heures et demie, je sortais de ma voiture et je me suis dit : "C'est incroyable, ils jettent vraiment leurs ordures n'importe où !" Je me suis approchée un peu plus près et là, j'ai compris que ce n'était pas des ordures, mais un cadavre... »
Dans L’Italia degli altri [L’Italie des autres], paru en Italie en Italie aux éditions
Neri Pozza, Mario Fortunato mêle des souvenirs personnels et l’évocation des
nombreux voyageurs qui, depuis le dix-huitième siècle, ont visité l’Italie à
l’occasion du fameux Grand Tour (de Goethe, Stendhal et Tocqueville à Henry James, Edith Wharton, Evelyn Waugh ou W.H. Auden). Fortunato s’interroge sur les
caractéristiques du "désir d’Italie" qui anime ces artistes
(poètes, écrivains, peintres, architectes, musiciens) et sur la façon dont les Italiens ont perçu ce "discours amoureux" enthousiaste mais aussi parfois
ambigu, qui a fini par devenir une composante de l’identité italienne. Je cite
ici un extrait de l’ouvrage consacré aux mystères du mont Soracte, qui se
dresse dans la campagne romaine, à
cinquante kilomètres au nord de la Ville, un paysage souvent décrit (ou peint) par les voyageurs du Grand Tour :
« Le Soracte, que ce soit en janvier ou
en mars, se dresse sur la ligne bleuâtre de l’horizon comme une île sur la
mer et avec une élégance de contour qu’aucune saison ne peut atténuer ou
diminuer. Vous le connaissez bien pour l’avoir vu souvent dans les fonds
délicats des tableaux de Claude Lorrain ; et il a un air si irrésistiblement classique et académique qu’en le regardant vous commencez à prendre la selle de votre cheval pour un
vieux fauteuil usé dans la galerie d’un palais. » Voilà ce qu’écrit Henry James
dans l’une de ses Chevauchées romaines en 1873.
Edith Wharton, dans
ses Paysages italiens, est elle aussi impressionnée par la « sévérité grandiose du
paysage » que domine le Soracte. L’écrivain du Temps de l’innocence y
voit un « rempart brumeux », comme si cette montagne obstinément isolée sur
l’horizon devait délimiter et distinguer le règne du visible de ce qui le
précède et l’annule — le mystère de l’invisible.
Le thème de la "vision" revient
souvent dans la littérature consacrée au Soracte. C’est du reste tout à fait
compréhensible : sa solitude est frappante, dans la vaste vallée du Tibre. Il a d'ailleurs été au cours des siècles un lieu d’ermitage. Les premières
peuplades qui y vécurent à partir de l’âge du bronze — les Sabins, les
Capenates, les Falisques et les Etrusques — y célébrèrent des cultes de caractère
clairement dionysiaque. L’isolement, l’éloignement par rapport au reste du
paysage met tous ceux qui parviennent à la cime de la montagne dans un état
de mutisme et de transe : d’ailleurs, le dieu Soranus, descendant direct
du dieu Suri des Etrusques, était une divinité infernale, liée au thème de la
divination, et donc à la vision du futur.
Quand Horace en fait le sujet de
l’une de ses Odes [I, 9], il évoque le Soracte blanchi par la neige, éloigné et
presque prisonnier du gel. C’est la raison pour laquelle il engage à se
réchauffer opportunément près de l’âtre, avec un bon verre de vin à la main et
en regardant bien en face cette fois-ci non pas ce qui par définition ne peut
pas se voir avec les yeux, c'est-à-dire le futur, mais au contraire la simple
réalité, cet instant qui constitue la vie même : la jeunesse est une
gloire fugace, dit le poète latin, raison pour laquelle il ne faudra pas
dédaigner, ici et maintenant, « les douces amours et les danses ».
Mais
le Soracte est aussi une montagne liée au mystère pour des raisons plus
spécifiquement historiques. En s’inspirant peut-être de ses trois
"composants" — lespuits communicants
entre eux et d’une profondeur de plus de cent mètres —, en 1937, la direction du Génie militaire de Rome entreprit la construction d’une série
de galeries à l’intérieur de la montagne, afin de servir de refuge au Haut Commandement
militaire, en cas de guerre. En septembre 43, les mystérieuses galeries
devinrent le siège du Commandement des troupes d’occupation allemandes sous les
ordres du feld-maréchal Albert Kesselring. Lorsque, en janvier 44, les
Allemands se retirèrent, à la suite des bombardements anglo-américains, ils
minèrent une grande partie de la zone. Selon la légende, soixante caisses
contenant des bijoux et de l’or, confisqués à la communauté juive de Rome et à
la Banque d’Italie, auraient été enterrées dans les galeries internes du Soracte.
En effet, les troupes allemandes étaient certaines que leur repli vers le nord
n’était que momentané, et qu’elles pourraient redescendre sur Rome dans un délai de quelques mois. Il en alla tout autrement, grâce au ciel, et l’on ne sut plus
rien des fameuses caisses ; après la guerre, on ne retrouva dans ces
galeries creusées dans le calcaire que quelques munitions. Du trésor présumé, aucune trace.
Mario FortunatoL'Italia degli altri, Neri Pozza Editore, 2013 (Traduction personnelle)
Jonas Kaufmann chante (merveilleusement) Ombra di nube, de Licinio Refice (sur un poème d'Emidio Mucci). Un air dont on aimerait être accompagné le jour de son enterrement (le plus tard possible, évidemment...) :
C'est en italien que j'ai découverts et aimés les poèmes de Wisława Szymborska, fort peu traduite en français alors que l'on trouve en Italie un volume bilingue (polonais-italien) contenant tout son œuvre poétique de 1945 à 2009, paru chez Adelphi sous le titre La gioia di scrivere (La joie d'écrire). De façon plutôt inattendue, même si Szymborska a reçu le Prix Nobel de littérature en 1996, l'ouvrage a connu un très grand succès et en est à sa neuvième réimpression en trois ans. Je cite ici l'un de ses poèmes que j'aime le plus, dans la traduction italienne de Pietro Marchesani, et en proposant à la suite ma propre traduction en français de cette traduction...
Morire — questo a un gatto non si fa.
Perché cosa può fare il gatto
in un appartamento vuoto ?
Arrampicarsi sulle pareti.
Strofinarsi tra i mobili.
Qui niente sembra cambiato,
eppure tutto è mutato.
Niente sembra spostato,
eppure tutto è fuori posto.
E la sera la lampada non brilla più.
Si sentono passi sulle scale,
ma non sono quelli.
Anche la mano che mette il pesce nel piattino
non è quella di prima.
Qualcosa qui non comincia
alla solita ora.
Qualcosa qui non accade
come dovrebbe.
Qui c'era qualcuno, c'era,
poi d'un tratto è scomparso
e si ostina a non esserci.
In ogni armadio si è guardato.
Sui ripiani si è corso.
Sotto il tappeto si è controllato.
Si è perfino infranto il divieto
di sparpagliare le carte.
Che altro si può fare.
Aspettare e dormire.
Che lui provi solo a tornare,
che si faccia vedere.
Imparerà allora
che con un gatto così non si fa.
Gli si andrà incontro
come se proprio non se ne avesse voglia,
pian pianino,
su zampe molto offese.
E all'inizio niente salti né squittii.
Wisława Szymborska La gioia di scrivereAdelphi Edizioni, 2009 (Traduzione : Pietro Marchesani)
Mourir — on ne doit pas faire ça à un chat.
Car que peut faire le chat
dans un appartement vide ?
Grimper aux murs.
Se frotter aux meubles.
Ici, on dirait que rien n'a changé,
et pourtant tout est différent.
On dirait que rien n'a bougé,
et pourtant plus rien n'est à sa place.
Et le soir la lampe n'est plus allumée.
On entend des pas dans les escaliers,
mais ce ne sont plus les mêmes.
Et la main qui dépose le poisson dans l'écuelle
N'est plus celle d'avant.
Ici, plus rien ne commence
à l'heure habituelle.
Plus rien ne se passe
comme prévu.
Ici, il y avait quelqu'un, bien présent,
et tout à coup, il a disparu
et il s'obstine dans son absence.
On a regardé dans toutes les armoires.
On a couru sur toutes les étagères.
On a vérifié sous le tapis.
On a même transgressé l'ordre
de ne pas éparpiller les papiers.
Que peut-on faire d'autre ?
Attendre et dormir.
Qu'il s'avise seulement de revenir,
qu'il se montre.
Il apprendra alors
qu'on ne doit pas se comporter ainsi avec un chat.
On ira à sa rencontre
comme si l'on n'en avait aucune envie,
tout doucement,
sur des pattes très vexées.
Et au début, il n'y aura ni bonds ni petits miaulements.