Une des chansons napolitaines que je préfère, Carmela (Paroles : Salvatore Palomba, Musique : Sergio Bruni, 1976), merveilleusement interprétée par Mina :
Stu vico niro nun fernesce maje
e pure 'o sole passa e se ne fuje.
Ma tu stai llà, tu rosa preta 'e stella,
Carmela Carmè !
Tu chiagne sulo si nisciuno vede
e strille sulo si nisciuno sente,
ma nun' è acqua 'o sanghe dint' 'e vvene,
Carmela Carmè !
Si ll' ammore è 'o cuntrario d' 'a morte,
e tu 'o ssaje.
Si dimane è surtanto speranza,
e tu 'o ssaje.
Nun me può fà aspettà fin' a dimane,
astrigneme 'int' 'e braccia pe' stasera,
Carmela Carmè !
Ma tu stai llà,tu rosa preta 'e stella,
Carmela Carmè
Ma nun' è acqua 'o sanghe dint' 'e vvene,
Carmela Carmè !
Si ll' ammore è 'o cuntrario d' 'a morte,
e tu 'o ssaje.
Si dimane è surtanto speranza,
e tu 'o ssaje.
Nun me può fà aspettà fin' a dimane,
astrigneme 'int' 'e braccia pe' stasera,
Carmela Carmè !
Cette ruelle obscure ne finit jamais
Même le soleil la traverse et s'enfuit.
Mais c'est là que tu vis, toi la rose, la poussière d'étoile.
Carmela, Carmela !
Tu ne pleures que lorsque personne ne te voit
et tu ne cries que si personne ne peut t'entendre,
mais ce n'est pas de l'eau qui coule dans tes veines,
Carmela, Carmela !
L'amour est le contraire de la mort,
et tu le sais.
Le lendemain est porteur d'espérance,
et tu le sais.
Mais ne me fais pas attendre jusqu'à demain,
serre-moi dans tes bras dès ce soir,
Carmela, Carmela !
(Traduction personnelle)
Images : (1) et (3)Sophia Loren dans Une journée particulière, d'Ettore Scola
Passa con la sua fascinetta sotto il braccio
il povero spazzacamino tutto nero
che getta il suo grido acuto e triste
pieno di nostalgia, che fa pensare
a un Natale tra i monti
e a tante cose bianche e malinconiche ;
passa il filosofo cenciaiuolo
che si ferma a frugare col bastone
nell'immondizie accumulate
ai canti delle case ;
passa l'imbacuccata cerinaia,
poverina! che ha tanto freddo e porta
tanto fuoco con sé
da incendiare tutta la città ;
passano i mendicanti campagnoli
che si ferman di porta in porta
a chiedere la carità ;
passan le grigie squadre d'Orsoline
che vanno a passeggiare sulle mura
nel pomeriggio di domenica
ed i neri seminaristi
che si spargon tra gli alberi forensi
come corvi a pasturarsi,
reclute del paradiso ;
passan le coppie degli amanti preoccupati,
passan le coppie pallide degli sposi,
passano i vecchi stanchi,
passani i poveri morti
che vanno all'ultima dimora ;
passano i girovaghi
con la lor musica a tracolla
che non è buona che di piangere
o gli organi di Barberia
che ridon e piangono per pochi soldi
come i pagliacci ;
passano i curvi pellegrini stranieri
che domandano il cammino di Roma.
Tout ce qui passe par une rue Passe avec son petit fagot sous le bras le pauvre ramoneur tout noir qui lance son cri aigu et triste plein de nostalgie, qui fait penser à un Noël dans la montagne et à tant de choses blanches et mélancoliques ; passe le philosophe chiffonnier qui s'arrête pour fouiller de son bâton les ordures amoncelées aux coins des maisons ; passe la marchande d'allumettes emmitouflée, la pauvre ! elle a si froid alors qu'elle porte assez de feu sur elle pour incendier la ville entière ; passent les mendiants campagnards qui s'arrêtent de porte en porte pour demander la charité ; passent les grises files d'Ursulines qui vont se promener sur les remparts le dimanche après-midi et les noirs séminaristes qui s'éparpillent dans les arbres majestueux comme des corbeaux cherchant leur pitance, dans l'attente du paradis ; passent les couples d'amants préoccupés, passent les couples pâles des époux, passent les vieux fatigués, passent les pauvres morts qui rejoignent leur dernière demeure ; passent les vagabonds avec leur musique en bandoulière qui n'est bonne qu'à pleurer ou les orgues de Barbarie qui rient et pleurent pour quelques sous comme les clowns ; passent, le dos courbé, les pèlerins étrangers qui demandent le chemin de Rome.
(Traduction personnelle)
Images : en haut et au milieu : Paolo Squarzoni (Site Flickr)
Le temps passe et il y met le temps Les oiseaux s'envolent sur l'étang Le ciel bas, rayé de pluie et d'ombre Pèse sur les champs sombres Où rôde aussi le vent
Je suis seule depuis déjà longtemps Je suis seule, je suis triste et j'attends Vers l'oubli glissent des jours sans nombre Le temps passe et il y met le temps
Pourtant j'étais jeune et je valsais Au bal de la princesse Les hommes, les femmes et leurs rires frais Tournaient, tournaient autour de mon cœur
Mais mon cœur est mort en plein printemps Il est là tout au fond de l'étang Dans les feux glissent des jours sans nombre Le temps passe et il y met le temps...
Je cite ici, dans une traduction personnelle, un deuxième extrait de l'ouvrage I racconti di Nené, d'Andrea Camilleri ; je rappelle qu'il ne s'agit pas à l'origine d'un texte écrit, mais de la retranscription d'une conversation de l'écrivain avec deux journalistes :
« Mer...
La mer me fait d’abord penser aux pêcheurs, les merveilleux pêcheurs de mon pays.
D’abord avec leurs tartanes, qui étaient des sortes de barques à voile, puis avec les chalutiers, dans la période faste de Porto Empedocle, qui était alors le deuxième port de pêche italien, avant de perdre cette place en faveur de Mazara del Vallo.
Chaque fois que je monte sur une bateau, je sens se recomposer en moi une sorte d’équilibre, que je perds aussitôt quand je regagne la terre ferme.
Je peux encore plonger et rester sous l’eau assez longtemps. Et je m’amusais beaucoup en jouant ce bon tour à ceux qui ne me connaissaient pas : rester longtemps sous l’eau en apnée et susciter l’inquiétude chez ceux qui m’accompagnaient. Et je parviens à la faire encore aujourd’hui malgré toutes les cigarettes que je fume.
En somme, l’élément aquatique est fondamental pour moi.
La première fois que je quittai Porto Empedocle pour gagner l’intérieur de la Sicile, j’allai à Caltanisseta avec mon père, pour je ne sais plus quelle raison ; nous partagions la même chambre.
J’étais enfant et je n’arrivai pas à trouver le sommeil.
Mon père me demanda : "Pourquoi ne dors-tu pas ?"
Je ne parvenais pas à m’endormir sans comprendre pourquoi. Puis je me rendis compte que le bruit de la mer me manquait.
J’ai assisté à de grands moments d’héroïsme liés à la mer. J’ai passé toute la période de la guerre à Porto Empedocle, où se trouvaient les navires de l'armée, et là, j’ai pu connaître des gens qui recevraient par la suite la médaille de la Valeur Militaire.
Je me souviens par exemple de l’attaque mémorable d’un contre-torpilleur à trois cheminées, du même modèle que ceux que l’on utilisait pendant la guerre de 14-18. Ce contre-torpilleur était commandé par le Capitaine de vaisseau Margottini, qui avait amené son chien à bord.
Un jour, pendant une patrouille, il se retrouva en face de la totalité de la flotte anglaise qui commença à le bombarder. Il comprit aussitôt que s’il voulait essayer de les couler, il devait s’approcher d’au moins trois-cents mètres, ce qui le rendait particulièrement vulnérable. Il arriva à trois-cents mètres de distance avec son navire en flammes, et il tira ; il toucha un croiseur, mais coula avec tout son équipage.
Son chien, quand il le vit sur le point de se noyer, le saisit au collet et le ramena à la surface, lui sauvant ainsi la vie.
Quand le Capitaine Margottini vint nous rendre visite, le chien eut droit à la place d’honneur et prit part avec nous aux festivités qui durèrent toute la soirée.
J’aurais bien d’autres épisodes du même genre à raconter !
Toujours au sujet de la mer, je dois dire que le plus beau prix littéraire que j’ai reçu, celui que j’ai le plus apprécié, m’est venu de l’île bretonne d’Ouessant, là où les plus gros bateaux de pêche, ceux qui restent en mer pendant des mois, font escale avant leur départ.
Sur l’île d’Ouessant, dont on peut faire le tour en quatre heures, et qui n’est qu’un morceau de terre autour d’un phare, avec quelques maisons et un port de pêche, on décerne chaque année un prix littéraire consacré à la littérature insulaire, autrement dit aux auteurs qui vivent dans une île.
Mon roman Il Birraio di Preston [Le Brasseur de Preston](1) se trouvait parmi les ouvrages sélectionnés. Le jury se réunit sur un chalutier et décida de me décerner le prix.
La dotation était de quinze mille francs, mais on me précisa qu’il n’était pas nécessaire que je me déplace sur l’île pour les recevoir ; il suffisait que je fournisse mon adresse et mes coordonnées bancaires. On m’envoya donc la somme accompagnée de la motivation du jury qui était exactement celle-ci : "Bon livre" (2).
C’est à mon avis l’une des plus belles motivations que l’on puisse trouver pour attribuer un prix à un roman ! »
Andrea CamilleriI racconti di Nené Universale Economica Feltrinelli, 2014 (Traduction personnelle)
(1) Il Birraio di Preston est paru en France sous le titre L'Opéra de Vigata, Editions Métailié, 1999.
I racconti di Nenè reprend de larges extraits d’une interview télévisée qu’Andrea Camilleri a accordée en 2006 à deux journalistes, Francesco Anzalone et Giorgio Santelli. Camilleri y raconte les étapes fondamentales de sa vie et il y parle aussi de façon plus générale de la Sicile et de certains aspects du caractère insulaire. Dans le texte que je reprends ici, dans une traduction personnelle, il est question des caractéristiques de l’amitié sicilienne, bien difficiles à comprendre de l’extérieur. Il faut préciser qu’il ne s’agit pas à l'origine d’un texte écrit, mais de la retranscription d’une conversation, ce qui explique l’aspect parfois relâché du style, qui vise à conserver la spontanéité de la source orale :
« Sur le sujet de l’amitié, je crois que l’on a déjà écrit des centaines de livres, et je ne pense pas que je puisse ajouter grand-chose de nouveau. Je me bornerai donc à parler de l’amitié sicilienne, en cherchant à préciser ce qu’est le concept d’amitié en Sicile et comment il est mis en pratique.
Je pense à un exemple que j’ai toujours trouvé frappant.
Luigi Pirandello et Nino Martoglio (1) étaient des amis intimes, de vrais amis. C’est Martoglio qui a fait débuter Pirandello au théâtre, et qui l’a par la suite aidé de toutes les façons possibles. Ils étaient liés à la vie, à la mort. Dans leurs lettres, ils employaient même des expressions qui seraient aujourd’hui considérées comme embarrassantes, comme "Je vous embrasse sur la bouche, cher ami".
On en vient alors à se demander : "Mais de quel type d’amitié peut-il bien s’agir ?"
Un lien encore plus fort que celui qui unit deux frères jumeaux : c’est un peu une définition par défaut de l’amitié, mais elle s’approche de la vérité.
Et puis, un jour, cette amitié s’est interrompue.
Pour expliquer à Martoglio les raisons de cette interruption, Pirandello lui écrit : "Cher ami, l’autre soir, vous avez dit un mot, un seul mot, que vous n’auriez pas dû prononcer... "
Cela semble ridicule, mais ce mot avait à lui tout seul un poids qui remettait en question toutes les années d’amitié qui l’avaient précédé.
On peut donc se demander si l’amitié sicilienne n’est pas un art plutôt difficile à pratiquer.
Je me suis souvent rendu compte qu’entre Siciliens, un véritable ami ne doit pas demander à l’autre quelque chose ; cela n’est pas nécessaire puisqu’il sera précédé par l’offre de l’ami, qui a déjà compris la demande qu’on était sur le point de lui faire.
C’est un processus un peu complexe. En fait, obliger un ami à formuler une requête est la preuve d’une amitié imparfaite.
Voilà pourquoi je parlais de jumeaux, parce que souvent, entre eux, on constate des échanges mentaux, par lesquels chacun comprend de façon magique les nécessités de l’autre.
Il y a encore une autre caractéristique merveilleuse de l’amitié sicilienne, et je vais l’illustrer avec un exemple.
J’avais un ami très cher que je ne voyais plus depuis dix ans. J’étais déjà marié et je venais de m’installer à Rome. Il m’appelle et me dit :
"J’ai deux heures de libre entre un train et l’autre et j’aimerais venir te voir."
Il vient à la maison et nous nous embrassons chaleureusement avant de nous asseoir côte à côte sur le divan. Deux heures s’écoulent et mon ami se lève, m’embrasse et s’en va.
Ma femme, qui non seulement n’est pas sicilienne mais a de plus reçu une éducation milanaise, me dit avec stupéfaction :
"Mais vous ne vous êtes même pas parlé, vous ne vous êtes rien dit, vous êtes restés silencieux, vous avez à peine échangé cinq ou six mots !"
Elle ne pouvait pas comprendre combien de choses nous nous étions dites, en amis véritables, à travers tout ce silence.
Et voilà un autre aspect mystérieux et indéchiffrable de l’amitié sicilienne. »
Andrea CamilleriI racconti di Nené Universale Economica Feltrinelli, 2014 (Traduction personnelle)
(1) Nino Martoglio (1870 - 1921) a été un célèbre poète et dramaturge sicilien ; il mit en scène les première œuvres théâtrales de Pirandello, et écrivit même avec lui des pièces in dialetto, c'est-à-dire en sicilien.
Quand on évoque en France la chanson napolitaine, on pense surtout aux grands classiques, souvent repris par des ténors comme Placido Domingo, Luciano Pavarotti, ou plus récemment Vittorio Grigolo et Roberto Alagna ; il existe toutefois une chanson napolitaine d'aujourd'hui, de qualité certes inégale, mais qui parvient parfois à s'approcher des grandes réussites du passé. C'est le cas me semble-t-il de Cu'mme [Avec moi], une chanson d'Enzo Gragnaniello, composée en 1991 et interprétée par un vétéran de la chanson napolitaine, l'excellent Roberto Murolo, et par Mia Martini, une belle voix italienne qui connut un destin tragique :
Dans Ludwig, de Luchino Visconti, Marc Porel interprète le rôle de Richard Hornig, l'écuyer du roi Louis II de Bavière. Voici quelques captures d'écran pour se souvenir de sa brève mais belle présence dans le film :
Les dernières lignes du très beau François d'Assise de Joseph Delteil :
Pauvre François ! C'est un vaincu comme les autres (sans cigüe ou bûcher). On a dénaturé sa Portiuncule, violenté son cadavre. Sa vraie Règle (la Regula Prima de 1210) est ignorée, perdue. « Il n'y a jamais eu qu'un seul franciscain, dit mélancoliquement Chesterton, c'est saint François. »
Pauvre François !
C'est un scandale de voir la pauvre Portiuncule joliment "enjolivée", emboîtée, encagée comme un oiseau dans cette baroque bâtisse de porphyre et d'or : Sainte-Marie-des-Anges.
C'est un sacrilège d'avoir enseveli la dépouille du Petit Pauvre dans cette merveilleuse basilique d'Assise, faite pour les Papes et les Rois. Au mépris de sa volonté. François désire reposer à jamais dans sa Portiuncule, ce sont ses "dernières volontés". On a abusé de son cadavre : un détournement de cadavre... Ni piété ni chef-d’œuvre ne justifient ça. C'est insupportable !
« Si on vous chasse par la porte, rentrez par la fenêtre ! » nous a dit saint François. Nous y veillerons !
Nous ?... toute une bande de conjurés, toute une Camorra, les maquisards de saint François... Le suprême vœu de saint François, la suprême revendication de Claire, qui sur son lit de mort a voulu serrer dans ses mains d'agonie, comme pour la défendre jusqu'à la tombe et par-delà la tombe, la Bulle de Pauvreté... (qui la lui arrachera de ses mortes mains ?...) Nous voulons libérer saint François. C'est juré ! c'est notre Pacte !
Un beau jour, un de ces quatre matins... Après tout, un tremblement de terre nous donne l'exemple, ce tremblement de terre en 1832 qui rasa Sainte-Marie-des-Anges de fond en comble, ne laissant miraculeusement debout que la vieille petite Portiuncule de saint François... n'y voyez-vous pas malice, bonnes gens, pas la "main de Dieu" ?... Nous étions plusieurs centaines, armés de pics, de marteaux, de plastic, par une grasse nuit sans histoire... nous la ferons sauter à la dynamite votre Sainte-Marie-des-Anges, à la dynamite, rasibus. François le veut !... On força les portails à la hache, on bascula les piliers à bout de bœufs... tout s'écroula comme un château de cartes, par voûtes et parois, dans une triangulation parfaite... on déblaya les décombres au bull-dozer... jusqu'à ce qu'apparût dans son nid de richissimes ruines l'adorable petite Portiuncule de saint François...
Égide et Léon se faisaient la courte échelle dans leur tombe pour voir ça. Masseo s'en dandine d'aise, plus tambour-major que jamais...
Pendant ce temps, les autres conjurés opèrent à la basilique d'Assise. Ils ont fracturé la crypte à grand attirail, soustrait le Reliquaire de saint François. Et voici qu'ils nous l'apportent à grands pas d'aplomb par la vaste nuit processionnelle, sur leurs épaules d'amour. Ce Reliquaire étrangement léger et volage ce soir, comme s'il était de la conjuration. Le vent fera rage, il est de connivence. Les hiboux feront le guet, ils ont le mot d'ordre. L'Italie dormait dans son sommeil de coquillage. Quelque part là-haut à la latitude de Saint-Damien, sainte Claire souriait...
Nous nous hâtions, pleins de sueur et de volupté, le cœur plus palpitant que les palpitantes étoiles. Nous frayant un chemin à bec et ongles à travers les blocs de pierre. Enfin nous voici dans la Portiuncule. Il suffit de soulever trois dalles dans le chœur, de creuser trois pieds. C'est là que nous ensevelirons saint François... là dans sa Portiuncule, là où il veut dormir... À la françoise !
Joseph DelteilFrançois d'Assise Grasset, 1960 (repris dans Œuvres complètes, Grasset, 1961
Mylène Demongeot se souvient de sa participation, en 1959, au film de Mauro Bolognini La Notte brava (sur un scénario de Pasolini, le titre français — toujours aussi inspiré — est Les Garçons) :
« Mauro Bolognini me demande de participer, pour un sketch, trois jours de tournage, à son film Les Garçons. En vedettes, Laurent Terzieff et Jean-Claude Brialy côté hommes, Elsa Martinelli et Antonella Lualdi pour les dames... Chacun a son attaché de presse privé et n'a guère l'air d'aimer beaucoup l'autre, ce qui est assez folklorique à observer... Mon sketch est un duo avec Terzieff, et mon Dieu qu'il est beau dans ces années-là ! Le charme slave personnifié. Pour la première et unique fois de ma vie, je craque complètement pour mon partenaire avec qui, pour tout arranger, je n'ai qu'une longue scène de rencontre amoureuse !
Je craque, mais Bolognini a craqué, lui aussi...
Ça l'excite de nous regarder nous étreindre, alors, le monstre, il nous fait recommencer les mêmes plans interminablement... Dix prises, quinze prises. Nous roulons sur le sol en nous embrassant voluptueusement, à bouche que veux-tu... Je n'en peux plus, je suis une femme fidèle et je m'en veux d'être aussi troublée !
Le soir, quand je rentre, je pleure et je vais dormir toute seule. Coste (1) n'est pas très content — je le comprends —, mais je refuse absolument qu'il vienne sur le plateau. Manquerait plus que ça ! C'est la première fois que ça m'arrive...
Et le lendemain, on remet ça... Trois jours de supplice !
Quand je revois ce film en noir et blanc où, franchement, je suis merveilleusement photographiée, je me trouve vraiment belle et la sensualité qui se dégage de cette scène n'est pas bidon, non, non !
Il y aura, un soir, un dîner de fin de film. À Ostia, près de la plage, par une belle nuit étoilée. Alain Cuny est là avec nous, je ne sais pas pourquoi, et court après Terzieff, voulant absolument jouer au ballon avec lui sur la plage !
Nous essayons, Laurent et moi, de nous isoler un moment pour pouvoir discuter un peu et nous dire au revoir. Coste, lui, me cherche partout. On dirait un vaudeville... Tout le monde surveille tout le monde... Brialy se marre.
Fin de l'épisode.
À Paris, nous nous reverrons pour le doublage de notre scène en italien. La traduction, très mauvaise, ne correspond en rien à ce que nous avons dit... (Oui, oui, il y avait du texte tout de même !) Donc, nous décidons de retrouver sur nos mouvements de bouche notre vrai texte et nous y arrivons très bien. C'est plutôt amusant à faire. Je range mon premier trouble de femme mariée dans un tiroir bien fermé à clé, mais c'est, encore aujourd'hui, un très joli souvenir qui a conservé toute sa magie... Rien, rien, il ne s'est rien passé dont nous puissions être honteux. »
Mylène DemongeotTiroirs secrets Éditions Le Pré aux Clercs, 2001
(1) Il s'agit du photographe Henri Coste, que Mylène Demongeot a épousé en 1958 (ils resteront mariés jusqu'en 1968).